Dans son ouvrage posthume sur Walter Benjamin, Jean-Michel Palmier partait du constat qu’ « aucune œuvre n’a sans doute exercé sur la réflexion esthétique, depuis près de trente ans une influence aussi profonde que celle de Walter Benjamin. Il est peu de débats suscités par Adorno et l’École de Francfort, la philosophie du langage ou la théorie de la traduction, l’esthétique de la réception, la critique littéraire, l’œuvre d’art et ses techniques de reproduction, l’investigation de la modernité qui ne se réfèrent à ses écrits ». Cette popularité posthume rend assurément justice à la figure et à la pensée de Walter Benjamin mais elle a aussi ses contreparties. C’est d’ailleurs le constat que fait une des meilleures connaisseuses de Benjamin en Argentine, Beatriz Sarlo, dans ses Sept essais sur Walter Benjamin qui viennent d’être traduit en français aux Éditions Delga. Inséré dans le cadre des si prisées Cultural Studies, Walter Benjamin se retrouverait cité ou commenté abondamment jusqu’à risquer une « complète banalisation ».
Ainsi, Walter Benjamin est souvent réduit à une suite de figures qui hante les publications académiques à travers les références obligées aux passages, aux panoramas, au flâneur et au chiffonnier, à l’Ange de l’Histoire et à la ville. De manière quelque peu provocatrice Sarlo confesse ne pouvoir prétexter son innocence d’un tel état de fait puisqu’elle a travaillé longuement sur ces thèmes. Et de néanmoins proposer de venir à bout de cette « inflation conceptuelle » : « comme l’argent lorsque tous les prix croissent et se multiplient, il y a des notions qui actuellement sont dépréciées. Nous devrions les déposer quelque part et nous engager à ne pas les utiliser pendant quelques temps pour leur donner la chance de s’en remettre ».
Mais avant de passer à l’acte, on gagnera à lire ces Sept essais sur Walter Benjamin qui relèvent de bien autre chose qu’un effet de mode. Car Walter Benjamin est l’objet de l’attention de Beatriz Sarlo depuis assez longtemps pour qu’elle affiche une forme de syntonie avec ce « penseur écrivain » majeur. Son cheminement au sein de la pensée benjaminienne est si profond qu’il lui permet d’éclairer une pensée souvent énigmatique, qui se dessine à travers des assemblages de citations, des aphorismes à la formulation plus littéraire que philosophique, ou des concepts qui échappent à toute définition stabilisée..
Mais c’est sans doute lorsque Beatriz Sarlo quitte l’exégèse pour traiter librement de quelques thèmes dans une inspiration benjaminienne qu’elle s’avère la plus intéressante. Lorsqu’elle analyse la présence des arbres dans les centres commerciaux, les natures différentes du clip musical et du film ou le rapport du jazz à sa propre histoire… ses développements s’avèrent lumineux, pétris d’une intelligence qui n’excluent jamais une profonde sensibilité aux différentes forme du vécu. Ils révèlent de la sorte sans doute ce qu’il y a de meilleur dans l’héritage de Walter Benjamin.
Baptiste Eychart
Beatriz Sarlo, Sept essais sur Walter Benjamin Traduction par Luis Dapelo Éditions Delga, 108 pages, 15 €