Les Néerlandais, les Belges, les Luxembourgeois, les Suisses, les Colombiens, les Canadiens, beaucoup d’Américains… disposent de la liberté de finir leur vie dans le moment et la manière qu’ils auront choisis, parce que des gouvernements, soucieux de la liberté de leurs administrés, ou des cours suprêmes, soucieuses du respect des constitutions, auront décidé que rien ni personne ne peut s’opposer au droit fondamental de chaque citoyen de disposer de sa propre vie, y compris lorsque la vie n’est plus qu’une survie qui se déroule dans des conditions que le citoyen lui-même considère indignes d’être subies…
Que je sache, les pays cités sont des démocraties respectueuses et nul n’y songe – à l’exception de quelques lobbies, de moins en moins nombreux, qui prétendent diriger nos morts comme ils prétendent diriger nos conceptions, nos naissances, nos mariages, nos amours… – à remettre en cause un droit qui n’ôte rien à personne et donne plus de liberté à une société. Rappelons à ce stade qu’un droit n’est pas une obligation et, de même que personne n’oblige une femme qui ne veut pas ou ne peut pas devenir une mère à avorter, nul ne forcera jamais une personne vieillissante ou malade à mourir pour des raisons économiques ou morales. Cela n’existe dans aucun des pays qui a autorisé une aide active à mourir. Cela n’existera pas plus en France, et nous nous y opposerons toujours, car ce qui est essentiel, c’est la libre décision de la personne qui reste jusqu’au bout un citoyen à part entière.
Alors que se passe-t-il en France ?
Notre pays est un pays qui fait montre de conservatisme. Il en va ainsi dans beaucoup de domaines. Rappelons-nous les tourments du mariage pour les couples du même sexe quand, quelques mois après, les Allemands, sous l’autorité de la Chancelière Merkel, pourtant bien peu libérale dans les domaines sociétaux, faisait habilement voter une telle loi en quelques jours ; loi qui existe évidemment aux Pays-Bas et en Belgique – encore eux ! – depuis de très nombreuses années. Devant ces conservatismes (religieux, corporatistes…), certains cherchent une troisième voie. Cette troisième voie est à la politique ce que les compromissions sont à certains contrats, c'est-à-dire des arrangements tièdes, insatisfaisants, qui conduisent à des situations bancales ; et en matière de fin de vie, au triste constat, partagé par tous – y compris par les opposants à la revendication constante portée par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité –, que l’on meurt mal en France.
La survenance de notre mort est la seule certitude que nous ayons durant notre existence. Elle est un adieu adressé à la vie et, surtout, aux personnes que nous aimons. Ne ratons pas notre sortie au prétexte que certains, plus frileux (plus lâches ?) ou qui croient en autre chose qu’à la vie telle qu’elle est démontrée rationnellement et scientifiquement, veulent nous imposer une vision de la vie qui n’est pas la nôtre, que nous ne partageons pas et qui n’a pas à nous être imposée. D’autant qu’elle n’a pas sa place dans notre République laïque.
Car voici le paradoxe : ceux qui accusent une loi d’ultime liberté de risquer de se transformer un jour d’un droit à l’euthanasie en une obligation d’euthanasie (dans un fantasme inacceptable), créent une obligation de survie, d’agonie, de déchéance, de drame, à toutes celles et tous ceux qui n’en veulent pas et revendiquent haut et fort « Ma mort m’appartient ! », comme les femmes scandaient autrefois « Mon corps m’appartient ! ».
Jean-Luc Romero
Président de l’ADMD
Auteur de Lettre ouverte à Brigitte Macron (sortie le 12 avril aux éditions Michalon)