Quand ton rectum se transforme en mortier de 120 et retartine par salves d’incroyables déflagrations l’intégralité de la faïence de ton Jacob Delafon d'une substance qui nécessitera pas moins de six tirages de chasse d’eau, force balayette, pour venir à bout de tout cet étalage horrifiquement merdifique,
quand parfois ce même rectum semble contenir un sac de ciment à prise rapide qui fait que tu te cramponnes vainement à l’abattant des gogues en suant sang et eau,
quand arrive ensuite comme autant de Walkyries la chevauchée sanglante des sœurs hémorroïdes,
quand tes cheveux (très peu chez moi), tes sourcils (parfois), tes poils les plus intimes se font la malle, lors tu te retrouves nu comme un bébé,
quand ton bide n’est plus qu’une effrayante machine à laver tournant sur cycle long, prélavage, essorage compris, une centrale nucléaire,
quand tes boyaux ne sont qu’usine à gaz au sens propre et figuré, à gargouillis, à bruits étranges et étonnants,
quand ces gaz justement ont une odeur qui feraient passer celle de la hyène pour du N° Cinq de chez Chanel,
quand ton pif saigne, coule, s’encroûte, s'entartre,
quand ta bouche n’est que dégoût, ne semble exhaler que remugles nuclérochimiques,
quand y poussent des aphtes comme cèpes en forêt au début de l’automne,
quand, lisant un bouquin dans un moment de répit, tu te surprends à voir dégouliner sur la page une fine, perfide et humiliante coulure de salive baveuse non programmée émanant de la commissure de tes lèvres,
quand tes toutes extrémités pieds et mains ne sont que glaciation électrique,
quand tu mets des moufles pour prendre ta bectance dans ton frigo,
quand tu passes sans transition du Pôle Nord à l’Équateur ensevelissement au creux de ton canapé sous deux épaisseurs de couvertures transpiration des orteils jusqu’au sommet du crâne,
quand t’es pacsé avec l'envie de gerbe, compagne fidèle qui ne te laissera pas seul entre toutes tes séances de chimio,
quand ton odorat fait le con, que tu peux plus piffrer des odeurs de cuisine qui t'attiraient avant,
quand ton goût se barre en couille,
quand ta libido se barre en berne pire que la berne des States entières lors des obsèques de JFK,
quand tu dors plus,
quand t’es crevé,
quand t’as plus de jus,
quand même ton amour, ta famille, tes amis ne peuvent rien pour toi car ils ne peuvent - heureusement pas - mettre les pieds sur le sentier sur lequel tu marches, quand leur amour et leur présence est si nécessaire, si indispensable, pourtant,
quand t’as tout ça et plus encore parfois,
quand tu penses que t’es au fond du trou, que c’est bon, que c’est marre, que c’est cuit, que cette chimio aura ta peau…
Quand t’as tout ça t’es sauvé camarade, quand t’as tout ça c’est du pain béni, car le travail se fait, faut y croire, faut croire en cette extraordinaire médecine, ces protocoles, ces toubibs TOUS les soignants et pas qu’y croire, avec, faut faire ton boulot, remplir ta part de contrat, entendre la musique, aller la chercher, alors t’es sauvé camarade, t’es sauvé si tu entends la petite musique de ton cœur au plus profond de ta souffrance, de ton désespoir, de ton désarroi, de ta chimio.
Cette musique je l’entends, elle me dit d’abord que des gens m’aiment et tiennent à moi et ça c’est le truc le plus maousse du monde, elle me dit encore bouge-toi le cul camarade, quelle que soit ta météo intérieure mets ton kimono, va faire des katas de goshîn, quarante pompes autant d’abdos tous les matins, mets ton cuissard prends ta bécane fais ton circuit cinquante bornes, les côtes les plus rudes de Chalosse et Gaujacq, mets tes baskets et va marcher, fais fais fais, fais n’importe quoi de « physique » mais fais et va, va, va bordel, ça va le faire, suffit de démarrer, de lancer la machine, le reste suit, c'est vérité…
Et je fais et je vous aime car je vous sais camarades de chimio. Camarades de chimio je veux vous dire qu’on va s’en sortir, qu’on va gagner. Le combat est dans le corps, la victoire passe par le corps, par un élan retrouvé sous le chaos. Sous le chaos la plage. Mettre KO le chaos. Camarades de toutes les chimio unissez-vous ! On est les plus forts camarades, aussi forts que la vie !