Dans L’Abandon des prétentions, Blandine Rinkel, membre du collectif Catastrophe, dresse le portrait de sa mère, Jeanine. Le livre est imprégné du décor intimiste de la cuisine rose de Jeanine située en bordure de Nantes, là où les maisons ont quelque chose de tranchant, et les vies « semblent n’être ni tout à fait réussies ni tout à fait ratées ». À l’intérieur, à coup de bolées de cidre à l’occasion de ses soirées crêpes, Jeanine accueille une kyrielle d’individus aux tranches de vie parfois étranges, souvent attachantes et quelques fois dangereuses.
Cette professeur d’anglais de 65 ans à la retraite possède un studio au premier étage de sa maison qu’elle loue dorénavant au monde entier. Sa fille y a autrefois habité. Transitent chez elle des réfugiés syriens, des ex-récidivistes, des amateurs de free party qui viennent trouver une oreille attentive et un toit peu coûteux voire une mère de substitution. C’est souvent en faisant les courses entre le super U et l’Intermarché, que Jeanine rencontre ces êtres qui souffrent en silence. Elle tente alors de leur donner un petit peu de baume au cœur ou bien tout simplement de quoi les rassasier le temps d’une soirée ou d’un séjour. Elle semble être une hôte parfaite, qui « s’émeut d’un rien, c’est-à-dire de tout, et ne se méfie jamais, pas même d’individus comme H.H, un leader comme elle dit « affilié à Daech ».
Qui plus est, Jeanine possède une sorte de pouvoir magique permettant, en dépit d’un réel ou d’un virtuel décevant de régénérer l’innocence à l’infini. Chez elle, la douceur semble l’emporter sur la méfiance et la paranoïa tout particulièrement. Cette sagesse de l’hospitalité, Jeanine l’a acquise sans doute en se contentant du minimum, en allant puiser du côté de sa sensibilité un sens à l’existence : « contre la tyrannie des ambitions, elle a préféré affiner sa part sensible : plutôt que les dîners à plusieurs, elle choisissait les tête à tête, au champagne qui frappe préférant le cidre doux ». Par petits traits tout en finesse et en minutie, Blandine Rinkel, redéploie tous ces échanges aux accents ionesciens qu’entretient sa mère avec ses invités, elle observe tout ce petit monde par le trou d’une serrure.
Dans son regard plein d’humour et de justesse, les stéréotypes volent en éclats. Le tout est porté par une bande originale haute en couleur signée Elton John. Elle résonne au travers de tubes comme Goodbye yellow Brick Road, Candle in the wind, Benny and the jets, Saturday’s night alright. Par ce biais, dans ce premier roman, Blandine Rinkel tente de cerner au plus près l’énigme qu’a représenté sa mère pour elle au sortir de l’adolescence. C’est la tendresse que partage Jeanine à l’égard de l’anonyme qui l’émeut et justifie son acte littéraire. « Il nous faudrait écrire un livre sur chacun de nos proches, pour apprendre, au gré des pages, combien, comment, nous les aimons » écrit-elle dans le sillage d’Annie Ernaux et de Pierre Michon.
Si Blandine Rinkel est reconnaissante envers sa mère de lui avoir « donné le goût du cidre qu’on vide en silence », nous, lecteurs, sommes reconnaissants à Blandine Rinkel d’avoir découvert une mère dont l’abandon des prétentions aura ouvert sa cuisine au monde entier.
Quentin Margne
Blandine Rinkel, L’abandon des prétentions Éditions Fayard, 248 pages, 18 €
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