Panem et circenses. Du pain et des jeux. L’expression a étonnamment bien vieilli, mais les agoras ont pris le pas sur les arènes. A preuve, le site de « journalisme collaboratif » AgoraVox qui a annoncé il y a quelques jours sa transformation en fondation, coïncidant avec une étape majeure dans son développement et une inscription définitive – si besoin en était – dans le paysage médiatique et social.
La communauté comme catalyseur de la pensée individuelle, telle est la forme de circonstance. Le CtoC, qu’il soit consumériste - Consumer to Consumer – ou citoyen - Citizen to Citizen - est politique dans tous les cas : la collaboration s’impose comme la nouvelle figure de l’organisation sociétale. Les structures verticales traditionnelles – les institutions (politiques, économiques, financières, médiatiques…) – se retrouvent concurrencées par les structures horizontales nouvelles dans une sorte d’homéostasie informationnelle. S’agissant des medias, Agoravox occupe une place un peu à part : les sites Scoopeo, Digg et autres Del.icio.us sont surtout dédiés au classement et à la hiérarchisation de l’information. Hiérachiser, c’est certes indéniablement faire l’info (basiquement, consacrer trois sujets de deux minutes à un événement en début de JT et le traiter en un reportage en milieu de journal, c’est quoi qu’on en dise, proposer deux visions différentes du monde). Or, Agoravox offre la possibilité non seulement de faire mais de fabriquer ex nihilo l’information.
Le site envisage la création d'une "Société des rédacteurs", en écho au développement jusqu’à lors des « rédacteurs amateurs », manières de GO de l’information et de la pensée. Ainsi, grâce à Agoravox, le dilettantisme se structure et s’officialise avec comme projet de généraliser le principe des « enquêtes participatives » (sic). Il serait aisé d’ironiser : imaginons que des citoyens soient invités à mener des enquêtes judiciaires participatives, voire pourquoi pas, à effectuer des opérations chirurgicales participatives. Des cris d’orfraie surviendront à cette seule évocation, l’expertise et la compétence n’étant, a priori, pas soluble dans la communauté.
Est-ce à dire que le journalisme ne constitue pas lui aussi une expertise, avec ses pré-requis, ses techniques, ses procédures, ses codes, ses process ? Nier la subjectivité du journalisme est une erreur et un contresens. Mais nier le caractère professionnel et donc l’expertise liés à ce secteur est une méprise tout aussi lourde. Ce n’est pas parce l’information objective est une chimère que l’information individualiste doit devenir la règle. A fortiori dans le contexte présent, où la maîtrise de l’information s’avère décisive.
Qu’Internet serve le débat public, en permettant de démultiplier et de croiser les expériences, les sources et les points de vue, qu’il rapproche les élites des citoyens, tout cela est non seulement possible mais souhaitable. La co-construction informationnelle incarne toutefois une manière de Rubicon. L’estompement des frontières, des catégories, est certainement un signe fort de la post modernité. Mais du dilettantisme professionnel au professionnalisme amateur, la nuance est à peine moins mince qu’un feuillet virtuel.