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Cameroun : Cinq freins à l’industrialisation.

Publié le 11 mai 2018 par Unmondelibre
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Selon la littérature, l’industrialisation comme action de transformer les matières premières pour les besoins de satisfaction du marché, est la voie royale du développement. Au Cameroun, le processus a débuté depuis l’époque coloniale pendant les deux premiers plans quadriennaux (1947-1953 et 1953-1959) élaborés dans l’objectif de mettre en place des infrastructures de base, de diversifier et de moderniser le secteur productif. Plus d’un demi-siècle plus tard, le secteur manufacturier tarde à décoller et les exportations restent dominées par les matières premières à l’état brut. Pis, du 3ème pays industriel de la zone franc en 1980, le Cameroun a dégringolé. Quelles en sont les causes et que faut-il faire ?

Forte empreinte de l’Etat néocolonial et inadaptation de la politique industrielle

De 1960 à 1980, la stratégie industrielle du Cameroun s’est basée sur la production et la valorisation des produits agricoles, forestiers, pastoraux et de la pêche sous l’encadrement d’organismes (para)publics. Dans le cadre du 6ème plan quinquennal de développement (1986-1991), l’Etat voulait substituer les exportations des produits manufacturés ou semi-finis à ces produits primaires. Mais, le rêve fut interrompu en 1987 par la crise économique. A travers l’Ordonnance N°90/001 du 29 janvier 1990 créant le régime de la Zone Franche Industrielle au Cameroun (ZFIC), l’Etat change curieusement de paradigme et s’engage plutôt à produire des biens et services destinés exclusivement à l’exportation (priorité exogène). Cela fait du Cameroun un comptoir de produits bruts où la valeur ajoutée industrielle évolue très faiblement (1,8% en moyenne annuelle depuis 1993). En conséquence, les importations des produits de première nécessité augmentent de façon exponentielle (plus de 800 milliards en 2015). Aussi, l’évolution des entreprises dans le secteur de la fabrication des matériaux de construction est très faible : 4% en 2000 et seulement 9% en 2010. L’industrie agro-alimentaire animale et de pêche par exemple reste absente dans le Nouveau Plan Directeur d’Industrialisation du Cameroun (PDI) adopté le 15 mars 2017. Sous le secteur prioritaire agro-industrie, l’on retrouve plutôt l’exploitation forestière qui représente déjà 78% des activités en ZFIC.

Absence d’action

Ce n’est que depuis 2017 que l’on reparle de PDI au Cameroun après l’échec de 1989 et ce n’est qu’en 2018 que l’on parle d’une première technopole. Quel retard ! Jusqu’ici, le pays naviguait à vue avec un très grand déséquilibre dans la structure des activités industrielles. En 1990, le pays avait lancé les ZFIC et des Points Francs Industriels (PFI) en vue de booster la production industrielle. Mais, cela n’a été que fictif dans la mesure où il n’y a eu aucune matérialisation spatiale : leur éparpillement sur toute l’étendue du territoire national en a annulé les effets notamment la réalisation des économies d’échelles. Par conséquent, le Cameroun cherche dans le PDI en 2018 à rattraper son niveau d’industrialisation d’avant 1980. En effet, le pays envisage de porter la contribution du secteur industriel au PIB de 13% à 24% au moins à l’horizon 2035, or elle était déjà d’environ 20% dans les années 1980. Les exportations de biens manufacturés représentaient en moyenne 23% de l’ensemble des exportations contre 15% de nos jours. L’emploi industriel était de 35000 actifs en 1980 contre 3645 en 2010.

Dépendance des financements, standards et chocs extérieurs

Un autre problème de la politique industrielle du Cameroun est son incapacité depuis les années 1980 à s’adapter aux différents chocs majeurs ayant affecté le Cameroun comme le choc pétrolier (1973-1979) qui a donné l’illusion d’une croissance économique solide, la dévaluation du FCFA en 1994, etc. En 1988, le Cameroun n’avait pas su profiter de la chute des prix des produits agricoles pour se lancer dans la recherche de plus-value qu’offre la transformation locale. En 1990, il a subi la politique d’austérité (plan d’ajustement structurel) et s’est enfoncé dans le cercle infernal de l’endettement qui le rend dépendant des bailleurs de fonds. Par exemple, le pays se remet à ses financiers pour les questions de normalisation. En conséquence, le standard des normes industrielles en vigueur est très élevé pour le niveau des investisseurs locaux, ce qui est une forme d’exclusion du marché. Dans un environnement économique dominé par les PME/PMI, il convient plutôt d’appliquer sur le marché local des normes tenables pour les débutants. Une multinationale comme Nestlé a fait du chemin pour être à son niveau actuel ! Par exemple, les PME camerounaises sont exclues pour l’essentiel du marché mondial du bio sous prétexte que leurs produits ne sont pas certifiés (normes IFOAM, Naturland, etc.). Or la pauvreté aidant, 95% de ces produits sont faits sans pesticides et autres intrants chimiques. Ces normes ressemblent aux barrières non-tarifaires qui sont une forme de protectionnisme sur le marché.

La corruption des acteurs du public et du privé

Au lieu d’être un secteur libre et compétitif, l’industrie camerounaise semble une chasse gardée de certaines entreprises qui engraissent au passage des agents publics. Par exemple, l’admission au régime de la ZFIC a été accordée pour l’essentiel à des entreprises déjà existantes : 24 des 26 agréments accordés entre 1994 et 1996 étaient aux entreprises d’exploitation forestières reconverties, ce qui leur a permis d’échapper au fisc et de contourner la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 interdisant l’exportation de certaines essences forestières à l’état brut. En 2002, la zone franche est remplacée par la zone économique (loi N°2002/004 du 19 avril 2002 portant Charte des investissements en République du Cameroun) mais, le réseau résiste jusqu’à nos jours sous le prétexte d’une phase transitoire voulue interminable. Des avantages indus continuent d’être attribués aux PFI sans plus-value. De façon insolite, l’on note même l’exemption des retenues et cotisations sociales qui consacrent le travail précaire au Cameroun. En 2010, 51 % des effectifs en PFI étaient saisonniers.

Il s’agit en effet de l’échec de l’industrialisation conventionnelle, portée par des modèles d’émanation institutionnelle. Une solution pertinente serait de consacrer le désengagement de l’État et de stopper la propension à financer des projets prioritaires par l’aide étrangère disposant de ses propres priorités (souvent divergentes).

Louis-Marie KAKDEU, PhD &MPA - Le 11 mai 2018


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