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La tolérance, ultime garante de l'humanité

Publié le 15 décembre 2009 par Jefka
La tolérance, ultime garante de l'humanité

La postmodernité qui caractérise notre époque se distingue des temps plus anciens par une sorte d’indifférence idéologique. La sphère privée prédomine aujourd’hui bien plus qu’autrefois sur les engagements collectifs. La tolérance dans ce contexte n’est pas exprimable, elle serait même un non-sens. Tolérer est en effet une attitude qui exige des convictions. J’accepte les idées défendues par d’autres dès lors que j’ai un avis qui diverge et non par indifférence au débat d’idées. Le caractère vertueux de la tolérance résulte d’un comportement actif et non de la passivité qui confine l’individu dans la paresse, voire la lâcheté. On ne fait pas preuve de tolérance lorsque, par le fait d’un esprit démissionnaire, l’on accepte tout et son contraire. Cette position est particulièrement néfaste car elle aveugle la conscience, y compris en présence de thèses abjectes et de dogmes déshumanisant. La négligence intellectuelle déresponsabilise, à contrario d’une attitude positive qui accepte et reconnaît la contradiction et non la négation de l’homme. La tolérance est un exercice difficile. Elle est le fruit d’une tension chez le sujet qui par nature se convint d’être le seul dépositaire de la vérité. Le respect est plus aisé parce qu’il va de soi. Respecter, c’est partager une même opinion, être en accord avec autrui. Le respect ne relève d’aucune ascèse. La tolérance par contre comble le respect qui n’a pas lieu d’être. Si elle fait défaut, il n’y a dès lors plus qu’un pas, soit pour sombrer dans une violence destructrice quand l’objet n’est pas toléré, soit se réfugier dans la résistance lorsque le fond est intolérable. A propos de cet objet qui met en jeu ou pas la tolérance, quel est-il ? Il s’agit des croyances, autrement dit ce qui ne peut pas relever d’une adhésion universelle de la communauté, ne s’agissant pas d’une loi mécanique mais de valeurs. La religion et la politique en sont les principaux représentants. Elles sont toutes deux pourvoyeuses d’idées, de points de vue, d’évangiles pour la première, de projet démocratique dans le meilleur de cas pour la seconde. Mais jamais elles ne délivrent de vérité, même si le dogmatisme menace toujours de se séduire les plus habiles. La tolérance trouve toute sa place dans ces environnements religieux et politiques, elle y est même indispensable pour que les différends induits par toute croyance ou opinion ne soient pas la mèche d’un conflit qui éclate. La science par contre ne connaît pas cette exigence, son but tendant vers l’objectivation du réel. La rivalité n’est certes pas totalement abolie au sein de la communauté scientifique, mais l’objectif est unanimement embrassé par ses membres. Cette communauté, Bayle la décrit de façon suivante : « Cette république est un état extrêmement libre. On n’y reconnait que l’empire de la vérité et de la raison et sous leurs auspices on fait la guerre innocemment à qui que ce soit. Les amis s’y doivent tenir en garde contre leurs amis, les pères contre les enfants, les beaux-pères contre leurs gendres». La démarche scientifique n’atteint pas la dignité humaine, les croyances elles, le peuvent. Celles-ci d’ailleurs, il faut bien l’admettre, sont bien plus enracinées dans la société que ne le sont les théories issues de la recherche. L’universel n’est pas une ambition partagée par le plus grand nombre. Les savants ne sont pas légion et même en leur sein l’éthique de la connaissance n’est pas toujours respectée. Le réel est bien plus le lien de la multiplicité, ce qui rend d’autant plus impératif la tolérance. C’est d’ailleurs la dernière issue possible qui mène à la coexistence pacifique. Selon Jean-Michel Gros, la tolérance « se manifeste comme l’ultime recours au moment où l’humanité cesse de se percevoir elle-même comme valeur universelle. Autrement dit la tolérance tient lieu du sentiment raisonnable de respect de l’autre, au moment où nous refusons en l’autre ce qui lui est propre et le plus intime, au moment où par ce qu’il affirme ou croit il cesse pour nous d’être notre semblable. Autrement dit encore, la tolérance m’impose de respecter l’autre, non pas en tant que je le reconnais comme une fin raisonnable mais en dépit de ce qu’il affirme être ou croire et qui le sépare radicalement de moi-même». La tolérance n’est pas innée. Elle s’acquiert au gré d’un apprentissage destiné à arracher l’individu de ses propres affects en tant que sujet pensant et d’une tutelle par trop omniprésente, voire dans certains cas de figure oppressante. La laïcité d’ailleurs est la seule garante de cette formation car son fondement dépasse les croyances. Elle dispense des principes dont l’application n’est possible qu’en vertu de la mise en jeu de la tolérance. La laïcité préserve un espace de liberté d’expression autonome et indépendant, qu’il convient à tous de défendre comme s’il s’agissait d’un bien commun. La laïcité ne propose pas l’unicité mais promulgue la diversité, ce qui lui vaut d’être en adéquation avec la nature, le monde étant une conjonction des diversités. La tolérance, en tant que bras armé au service de la laïcité, s’auto-entretient, à condition qu’elle ne soit pas illusoire ou exploitée à des fins intéressées par une partie de l’humanité au détriment de l’autre. La tolérance ainsi ne doit jamais être une concession motivée par une paix dont les bénéfices sont exclusivement réservés à certains. La tolérance n’est donc pas forcément bienveillante lorsqu’elle n’est qu’un compromis maquillant une égalité ostentatoire mais infondée. Dans le même esprit, Mirabeau en 1789 clame à l’Assemblée : « Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré que le mot de tolérance qui voudrait l’exprimer me paraît en quelque sorte tyrannique de lui-même puisque l’autorité qui tolère pourrait ne pas tolérer». La tolérance, pour être qualifiée de vertueuse, doit procéder à la constitution et au fonctionnement d’une société de droit où la dignité de la personne humaine n’est point mise en péril, ni dans les mots, ni dans les gestes. Toute menace à l’encontre de cette éthique collective nécessite une condamnation sans appel et mérite s’il le faut le combat physique. Tout être humain a le droit à la parole et vaut d’être écouté. Doit être impérativement toléré le sujet, et non l’objet qui est discutable. A ce propos, la recherche de la vérité, en supposant qu’elle puisse en partie être atteinte mais là n’est pas la question, dispose chacun à partager et confronter les points de vue. Une pensée progressiste ne se forge qu’une fois les opinions éprouvées par le débat et la critique. L’éveil intellectuel se nourrit de contradictions et de persuasions. Les lumières des uns s’intensifient au contact de celles des autres, et réciproquement. Sur ce postulat, la seule limite que la tolérance est tenue de s’imposer s’applique à toute forme de négation de ce qu’il la rend possible : on ne tolère pas le racisme, le fascisme, l’antisémitisme, le génocide d’ordre politique ou ethnique. Seule une tolérance exclusivement et totalement désintéressée préserve l’humanité que tout homme porte en lui.


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