Magazine Humeur

L'Europe et la culture : traduction, mémoire et pardon.

Publié le 09 mai 2018 par Ep2c @jeanclp
L'Europe et la culture : traduction, mémoire et pardon.

Avec Paul Ricoeur, donner sens à la formule attribuée à Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je recommencerais par la culture »

Toute ma gratitude va à Jean-Michel Lucas qui a bien voulu poster un commentaire à la suite de ma dernière note.

Ce faisant, il porte à ma connaissance -et donc à la votre- une importante contribution (qui date de 1992 et dont j’ignorais l’existence) de Paul Ricoeur sur le rôle de la culture dans la construction d'une nouvelle entité politique, l'Europe.

Comme on le verra, il ne s'agit pas ici de l'acception communément usitée dans ce qui s'auto-désigne comme le « monde de la culture ».

Disons, qu'il est question du rôle qu'elle aurait du jouer (cf. la formule attribuée à Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je recommencerais par la culture ») et -si l'on est optimiste, de celui qu'elle pourrait jouer... si l'on est volontariste de celui qu'elle devrait jouer à l'avenir.

"Il n'est pas exagéré de poser en termes d'imagination la question de l'Europe à venir. Son organisation politique pose en effet un problème sans précédent, à savoir celui de dépasser au plan institutionnel la forme de l'État-Nation sans pourtant en répéter à un niveau supérieur, dit de supranationalité, les structures bien connues. (...)

L'expression d'État « post national » est à ce double égard appropriée, dans la mesure où elle laisse ouverte — à l'imagination, précisément — la question de savoir quelles institutions inédites peuvent répondre à une situation politique elle-même sans précédent.

J'aimerais dire ici comment une réflexion portant sur les comportements éthiques et spirituels, tant des individus, des intellectuels, des hommes de culture, que des sociétés de pensée, des Églises et autres confessions religieuses, peut contribuer à cette imagination politique.

Il serait en effet faux de croire que des transferts de souveraineté au bénéfice d'une entité politique qui reste entièrement à inventer puissent réussir au plan formel des institutions politiques et juridiques, sans que la volonté d'opérer ces transferts emprunte son dynamisme à des transformations de mentalité touchant à l'ethos des individus, des groupes et des peuples.

Le problème posé est assez bien connu. Il s'agit très globalement de combiner « l'identité » et « l'altérité » à de nombreux niveaux qu'il va s'agir de distinguer. Ce qui nous fait le plus cruellement défaut, ce sont des modèles d'intégration entre ces deux pôles que je désigne pour l'instant dans des termes d'une grande abstraction (…) C'est pour briser cette impression d'inquiétante abstraction que je propose de classer, selon un ordre croissant de densité spirituelle, des modèles d'intégration ayant à faire avec l'identité et l'altérité".

Ricoeur analyse donc successivement trois modèles :

celui de la traduction

celui de l'échange des mémoires

celui du pardon

pour conclure :

"Je voudrais, en guise de conclusion, relier mon propos à deux autres thèmes qui ont fait l'objet de contributions distinctes.

J'évoquerai d'abord le débat suscité par le conflit entre la revendication universaliste liée à l'idée même d'État de droit et de Droits de l'homme et le rappel par les communautariens des différences insurmontables qui séparent les identités collectives. Il serait possible de reprendre, du point de vue de ce conflit, les trois modèles de médiation proposés ici entre l'identité et l'altérité. La traduction, avons nous dit, est la seule manière de manifester l'universalité du langage dans la dispersion des langues. La narration croisée, avons-nous ajouté, est la seule manière d'ouvrir la mémoire des uns sur celle des autres ; le pardon, avons-nous affirmé pour finir, est la seule manière de briser la dette et l'oubli et ainsi de lever les obstacles à l'exercice de la Justice et de la reconnaissance. De bout en bout de nos analyses nous nous sommes tenus au plan des « médiations » ; en ce sens, les modèles proposés sont à verser au débat de l'universel et de l'historique : ils renforcent les arguments de ceux pour qui l'universel n'a pas d'autre lieu de justification que l'historique, et pour qui la seule manière d'échapper à l'accusation d'ethnocentrisme, c'est de recourir aux meilleurs arguments del'autre.

Un second débat concernerait la contribution des confessions chrétiennes à ce triple travail de traduction, de narration croisée, de compassion mutuelle. Les confessions chrétiennes ont assurément leur rôle à jouer dans la mesure où elles ont reçu en héritage la parole évangélique du pardon et de l'amour des ennemis. En ce sens, leur manière d'aborder les problèmes discutés ici serait de commencer par le pardon et de placer sous le signe du pardon les deux autres thèmes du croisement des mémoires et de la traduction d'une langue culturelle dans une autre. Mais les communautés chrétiennes ont aussi un prix à payer pour être entendues.

Ce prix est double : elles ont, d'une part, à parcourir jusqu'à son extrême fin le chemin de l'abandon du pouvoir, de ce pouvoir exercé tantôt directement, tantôt indirectement par l'entremise du bras séculier, tantôt

— plus subtilement — en redoublant de leur autorité la dimension verticale de domination caractéristique du phénomène de souveraineté dans le cadre principalement des États-Nations, et cela aux dépens de la relation horizontale du vouloir vivre ensemble. C'est dans la mesure où les communautés chrétiennes auront clairement rompu avec un certain « théologico-politique », où le théologique justifie à titre primaire la dimension de domination dans les rapports politiques, et dans la mesure où elles sauront donner, par contraste, sa chance à un autre « théologico-politique », où la relation ecclésiale, s'affirmant comme lieu d'entraide en vue du salut, deviendrait véridiquement un modèle de fraternité pour toutes les autres institutions, — c'est dans cette mesure que le message de l'Évangile risquera d'être entendu des politiques à l'échelle de la grande Europe. Ceci amène à dire — et c'est le second prix à payer par les communautés chrétiennes — que le premier lieu où le modèle du pardon est à mettre à l'épreuve, c'est celui des échanges interconfessionnels. C'est d'abord à l'égard les unes des autres que les grandes communautés chrétiennes ont à exercer le pardon mutuel afin de « briser la dette » héritée d'une longue histoire de persécution, d'inquisition, de répression, que ces violences aient été exercées par les unes à l'égard des autres ou par toutes à l'égard des non-chrétiens et des non-croyants. Le projet d'une nouvelle évangélisation de l'Europe est à ce double prix".

Il faut prendre le temps de lire l'intégralité de ces considérations qui n'ont fait, un quart de siècle après, que gagner en densité et en actualité.

Télécharger ci dessous le texte de Paul Ricoeur

[pdf] UN ETHOS POUR L'EUROPE

QUEL ÉTHOS NOUVEAU POUR L'EUROPE ? in Imaginer l’Europe. Le marché intérieur européen, tâche culturelle et économique Sous la direction de P. Koslowski, Paris : Cerf, 1992. p.107-116

QUEL ÉTHOS NOUVEAU POUR L'EUROPE ?

in Imaginer l’Europe. Le marché intérieur européen, tâche culturelle et économique

Sous la direction de P. Koslowski, Paris : Cerf, 1992. p.107-116

Je reviendrais prochainement sur une autre contribution (un peu plus pragmatique) proposée par Jean-Michel Lucas : il s'agit de la démarche Volontaires pour les Droits culturels, initiée par la Région Nouvelle Aquitaine


L'Europe et la culture : traduction, mémoire et pardon.

Consultez aussi ces pages sur La Cité des sens.

Liens conseillés.

Lecture et bibliothèques.

Actualités des politiques culturelles.

Politiques culturelles (mon fil d’actualités sur Scoop'IT)

Création sociale et innovations culturelles

Politiques culturelles : ressources et documents.

L'Europe et la culture : traduction, mémoire et pardon.

Votre blog a donné lieu à une création de notice bibliographique dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France.


Il lui a été attribué un numéro international normalisé

ISSN : 2270-3586

Type : document électronique, publication en série
Auteur(s) : Pompougnac, Jean-Claude (1946-.... ). Auteur du texte
Titre clé : La Cité des sens
Titre(s) : La Cité des sens [Ressource électronique] : le blog de Jean-Claude Pompougnac
Type de ressource électronique : Données textuelles et iconographiques en ligne
Publication : [Fresnes] : [Cité des sens], 2006-
Note(s) : Blogue. - Notice rédigée d'après la consultation de la ressource, 2013-11-14
Titre provenant de l'écran-titre
Périodicité : Mise à jour en continu
Indice(s) Dewey : 020.5 (22e éd.) ; 301.094 4 (22e éd.)
ISSN et titre clé : ISSN 2270-3586 = La Cité des sens
ISSN-L 2270-3586
URL : http://cite.over-blog.com/. - Format(s) de diffusion : HTML. - Accès libre et intégral. - Consulté le 2013-11-14
Notice n° : FRBNF43711075

http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb43711075f/PUBLIC

L'Europe et la culture : traduction, mémoire et pardon.
é ‘’‘′‘’‘’‘‘’‘’‘’‘‘’
Ebuzzing - Top des blogs
L'Europe et la culture : traduction, mémoire et pardon.
&version;

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Ep2c 4571 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines