Phénomène impossible à chiffrer la guerre du sable présente des tendances lourdes. Présenté comme une ressource illimitée, sa surexploitation est expliquée par la demande exponentielle du secteur de la construction en particulier en Chine. La dynamique démographique et l’accès facile à cette matière première réputée gratuite, génère un commerce parallèle et l’essor de mafias. L’absence de réaction politique au niveau mondial pose la question des intérêts en jeux et des rapports de force sous-jacents. La guerre informationnelle semble avoir débuté récemment avec l’engagement des ONG locales, des médias et dans une moindre mesure la sphère religieuse dans la défense des pays qui subissent le rapport de force.
Une hausse déséquilibrée des besoins
Dans un article des article des Echos paru le 24 février, Pascal Peduzzi, responsable chercheur au Programme des Nations unies pour l’environnement indiquait « nous devons nous inquiéter de l’offre à venir de sable c’est certain. Le sable est plus rare que ce que l’on pensait à présent ». Dans une note publiée sur le site www.institut-ocean.org, en février 2016, Eric Chaumillon, professeur de géologie marine et côtières à l’université de la Rochelle, chercheur au CNRS et membre de l’institut océanographique (Fondation Albert 1er, prince de Monaco) indiquait que ce constat pouvait sembler surprenant car « à l’échelle de la planète, le sable semble inépuisable car il est estimé à millions de milliards de tonnes ! ». Ce chiffrage est à relativiser car l’intégralité du sable n’est pas exploitable soit parce qu’inaccessible soit impropre. Seul « le sable fluviatile… peu usé et angulaire que l’on trouve dans le lit des rivières, anciennes ou actuelles, et au large des côtes devant les estuaires » et « le sable des plages de moindre qualité sont utilisés». Hors si la ressource reste importante, elle peut se résorber alors que la demande, elle, est exponentielle. En d’autres termes, l’exploitation intensive du sable liée à l’activité humaine affecte l’écosystème et ne permet plus une régénération de cette matière première naturelle. Il y a donc potentiellement mise en place d’un cercle vicieux conduisant à un assèchement de l’offre. Si la demande est exponentielle c’est parce que le sable est utilisé massivement dans l’industrie pour ses propriétés de résistance. Le premier consommateur est l’industrie du BTP (100 à 300 tonnes pour une maison individuelle, 30 000 tonnes pour un kilomètre d’autoroute et 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire). Le deuxième plus gros consommateur de sable est de manière paradoxale l’industrie du remblaiement des plages et de l’endiguement. Puis viennent dans l’ordre la consommation industrielle avec le verre, les cellules photovoltaïques et les besoins liés à la fracturation hydraulique. Dans une note effectuée à l’United Nations Environment Programme Global Environmental Alert Service (GAES) publiée en mars 2014 et repris en grande partie une conférence à Genève en novembre 2015, Pascal Peduzzi estime l’extraction de sable et de gravier entre 40 et 50 milliards de tonnes par an dont 30 milliards de tonnes de sable pour la production du béton. La Chine en consomme 20 milliards et de micro-Etats, comme Singapour, Dubaï ou Hong Kong, s’en servent pour gagner des terres sur la mer. L’encadrement de l’exploitation de sable est forte dans les pays développés et faible voire inexistante dans les pays en développement ou émergents. Et les règlementations en place sont transgressées par l’activation de trafics illicites avec des pays non développés. De manière synthétique, il y a d’un côté les nouvelles mégalopoles en Asie avec Shangaï, Shenzhen, Chongqing, Singapour, Hong-Kong, Dubaï Mumbaï, Oulan Baator et de l’autre des pays impactés malgré souvent des interdictions d’exploitation sauvage, le Cambodge, le Vietnam, Myanmar, Bangladesh, Sri Lanka, les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, le Cap Vert et l’Inde – certains de ces pays en ont fait une industrie d’exportation. Le commerce de cette matière première est régional du fait de son coût estimé entre 5 et 10$. De manière factuelle, la Chine achète des volumes colossaux de sable au Vietnam, 25 îles ont disparu en Indonésie pour alimenter Singapour en sable et son besoin en termes d’infrastructures. Dubaï détient le record de remblayage en construisant une île artificielle The Palm dont la consommation en sable puisé au large des côtes de la ville a été estimée à 150 millions de tonnes.
Les polémiques à venir sur le pillage du sable dans les économies émergentes
La question soulevée par ce phénomène est l’absence de réaction politique au niveau mondial. Ce phénomène visible n’est pourtant pas ignoré par les pouvoirs publics. Le rapport de force est pour l’instant très déséquilibré avec d’un côté les pays et les mégalopoles porteurs de la croissance mondiale et de l’autre des pays ou des zones géographiques moins développés aux économies fragiles souvent pillées de l’intérieur par des mafias locales et la corruption. Des pays pauvres qui sacrifient plages et rivières pour alimenter la croissance de puissances émergentes. Si aux niveaux des Etats la guerre informationnelle est inexistante, la société civile et même religieuse s’est saisit de ce sujet et il y a fort à parier que la guerre informationnelle qui s’est engagée va fortement s’intensifier dans les années à venir. Ainsi, au Surinam, dans son rapport d’impact environnemental de 2016 le WWF Guianas recommandait une interdiction permanente de l’extraction de sable. Au Cambodge, l’ONG locale Mother Nature qui critiquait l’exploitation intensive du sable a été dissoute par en septembre 2017 comme reporté par le site internet du journal The Phnom Penh Post . Cette ONG avait indiqué que du fait de pot de vin le sable était transporté illégalement en Thaïlande et au Vietnam avec in fine comme destination finale Singapour malgré les moratoires qui ont été déclarés. De la même manière, au Myanmar le sujet devient polémique l’ONG Myanmar Centre for Responsible Business s’est saisi du dossier soulignant les dangers de l’érosion engendrés par l’exploitation intensive du sable. Il est à noter que le site d’information du Vatican, Vatican News a commencé à relayer le message alarmiste de Pascal Peduzzi dans un entretien réalisé par Marine Henriot en avril 2018 qui évoque également de manière non fortuite la mort d’un journaliste indien Sandeep Sharma qui enquêtait sur ce commerce devenu illégal. En France, Arte France a produit un documentaire réalisé par Denis Delestrac le sable : enquête sur une disparition récompensé par le FICMA 2013 – Golden Sun considéré pour le Nobel de l’Environnement, Prix de l’impact FIGRA – Amnesty International France. La diffusion et le succès de ce documentaire est une étape de plus dans la médiatisation d’un conflit émergent qui dépend plus de l’engagement qui devrait être croissant de la société civile et des ONG que des Etats eux-mêmes en déplaçant la problématique sur le terrain de l’éthique et de la morale. Les nations puissantes importatrices de sable ne pourront pas longtemps se contenter d’invoquer leur propre croissance pour justifier la destruction des pays voisins en position de faiblesse.
Benoit Roche
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