J’ai découvert Johanna Tordjman et son travail il y a peu, et cela a été un vrai coup de cœur. Travailler l’image était pour elle une évidence. Après une prépa d’art et un diplôme en communication visuelle, elle devient graphiste et DA pendant huit ans. Le dessin est une passion née de l’enfance. « Après, c’est venu un peu tout seul. Je voulais avoir des toiles chez moi mais je n’avais pas d’argent alors j’ai créé les miennes. » Sa carrière commence en 2016, avec sa première exposition. Elle est vite repérée, et les shows s’enchaînent au quatre coins du monde.
Elle présente à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 30 juin sa nouvelle exposition, Royal Outcasts à la galerie Sébastien Adrien à Paris.
Johanna nous raconte l’histoire d’une fratrie : la Famille Ndjoli. Une famille actuelle, de part leur style vestimentaire, mais pas que. Elle nous parle de sa génération, des personnes qui l’entourent, qui l’inspirent, et c’est ce qui rend son travail accessible et touchant.
J’ai voulu en savoir plus sur cette artiste sincère et d’un optimisme sans faille !
L’Arrogante : Bonjour Johanna, peux-tu te présenter en quelques lignes ? Qui es-tu, d’où viens-tu, quel est ton parcours?
Johanna Tordjman : Je suis Johanna Tordjman, artiste peintre de 27 ans, j’ai grandi à Créteil dans une famille de femmes extraordinaires.
J’ai su dès le plus jeune âge que je voulais travailler l’image, je crois que le déclic a été en CE1, grâce à ma prof Mme Belouizdad si je me souviens bien, on faisait des frises et j’ai depuis été fascinée par les « graphismes » présents dans le quotidien, ma mère vous en parlera bien mieux que moi, elle adore raconter cette histoire.
J’ai ensuite fait une école de communication visuelle à Paris, pour être graphiste, et DA dans la foulée, ce que j’ai été assez rapidement, à 21 ans j’intégrais un poste qui me semblait être le job parfait dans les cosmétiques de luxe en tant que DA, puis j’ai fait de la calligraphie, puis je suis arrivée à la peinture assez naturellement finalement.
Je construis mes séries un peu comme le ferait un fashion designer avec ses collections
Comment travailles-tu ? Peux-tu nous expliquer le processus de création ?
Johanna Tordjman : J’ai un processus de travail qui me plait parfois plus que la création elle-même, je choisis une histoire que j’aimerais raconter. Je ne suis jamais à la recherche de modèle, cela se fait en général très naturellement, au fil de mes rencontres, j’adapte mon « scénario » à mes modèles pour qu’ils puissent s’y reconnaître, j’échange beaucoup avec eux, puis je fais des photos qui me serviront alors de base de travail, j’en montre d’ailleurs quelques-unes à la Galerie Sébastien Adrien pour accompagner mes peintures, avec quelques croquis préparatoires, puis je les peins.
Je construis mes séries un peu comme le ferait un fashion designer avec ses collections, j’assemble et j’essaie d’harmoniser les toiles entre elles pour qu’il y ait une vraie histoire qui s’en déroule.
Fratrie jamais finie, Royal Outcasts, Johanna TorjdmanPour ta prochaine expo Royal Outcasts, tu mets en scène la famille Ndjoli. Peux-tu nous en parler plus précisément ? Quelle histoire racontes-tu ? As-tu été inspirée par une famille en particulier ?
Johanna Tordjman : Au travers de la famille Ndjoli, je parle de fraternité, au travers de cette fratrie. J’ai rencontré Jean-Jacques, Jean-Philippe et Jean-Paul à un événement qu’organisait Blackrainbow, et j’ai adoré leur aura, leur lien.
Je me souviens que Jean-Jacques disait à Jean-Paul de me dire au revoir, ça m’a fait sourire et il s’est justifié en me disant que c’était son petit frère. Ils sont pleins de belles valeurs qui me rappellent celles que ma mère nous a inculqué à ma sœur et moi. Ensuite on m’a demandé de peindre un mur dans le marais, de 52m2, j’avais très peu de temps pour le préparer et c’est à ce moment que j’ai contacté Jean-Jacques pour lui proposer de faire partie du sujet, il a accepté immédiatement, cette œuvre s’appelait Le Sacre. Le projet d’exposition Royal Outcasts n’était pas encore prévu, c’est quelques semaines après que Florence Cocozza de Kozzarte m’a proposé de faire un show, il m’est alors paru évident de continuer l’histoire entamée.
Je suis née en France, j’ai étudié en France et les valeurs qu’on nous a transmises sont « Liberté, égalité, fraternité. »
Je trouve qu’on ne mène pas la vie simple à ces bases qui me semblent pourtant être fondamentales. Il y a cette phrase de Victor Hugo, dont je me suis servie pour nommer plusieurs de mes œuvres qui dit : « C’est par la fraternité que l’on sauvera la liberté ». Je n’ai pas grand-chose à ajouter si ce n’est mes images.
Je suis une éternelle optimiste, certains disent même que je suis plutôt une utopiste, mais j’ai besoin d’être positive sur les valeurs que nous voulons transmettre aux nouvelles générations, et quand je m’intéresse un peu aux news, cela m’effraie. Je raconte l’histoire de cette fratrie, de cette union indestructible, je leur fais vivre diverses aventures, et je les rassemble. J’aimerais qu’on puisse tous en faire autant, malgré les embuches rencontrées, les routes parfois barrées.
J’ai un lien très fort avec ma famille, nous ne sommes pas très nombreux, mais nous avons un lien très fort qui nous uni, j’ai évidemment été très inspirée par la force de ma grand-mère, la tendresse de ma mère et le soutien inconditionnel de ma sœur. Elles sont mes essentielles, c’est une manière de leur rendre hommage aussi. Ma sœur et mon neveu se sont d’ailleurs glissés dans l’exposition.
Ces personnages sont très actuels, notamment dans leur style vestimentaire. Est-ce que c’est un choix « stratégique » pour parler à un public plus jeune ?
Johanna Tordjman : S’il y a bien une chose que je m’empêche de faire dans mon travail pictural, c’est bien d’avoir des stratégies.
Je peins ce qui m’entoure, et je suis très influencée par ma génération, par ma ville aussi, ils en sont le reflet, je leur ai demandé de choisir leurs tenues, je ne cherche pas à modifier leur réalité, je les prends tels qu’ils sont, et tels qu’ils veulent être constatés. Je suis en effet très sensible à l’univers de la mode, surtout pour la marque que ça apporte dans le temps. Si j’avais peint en 2000, ils auraient été habillés différemment, ce qui aurait peut-être revendiqué autre chose naturellement.
Décomposition d’une chute, Royal Outcasts, Johanna TorjdmanJe remarque qu’ils sont très stylés. En ayant travaillée avec pas mal de marques dans le monde de la mode, tu dois y être sensible, non ? Tu as même créé une série de t-shirt en édition limitée au profit de l’association CEKEDUBONHEUR !
Johanna Tordjman : Je suis bénévole dans l’association CKDB, j’ai eu la chance inouïe de partager un peu de mes compétences avec des enfants hospitalisés à Saint-Maurice, on a fait des ateliers de calligraphie avec MHD comme fond sonore. Je ne veux rien leur imposer, mais partager avec eux, ils me font découvrir leur univers tout comme je leur fais découvrir le mien. Ce sont des enfants absolument remarquables, Hélène Sy, la fondatrice et tous les membres de l’association et du personnel hospitalier font un travail merveilleux. Lorsque Florence m’a partagé son souhait de travailler aux côtés d’une association, il m’a semblé évident de choisir CKDB.
Avec le tee shirt, nous reversons 10€ sur chaque vente à l’association pour qu’ils puissent continuer de faire ce qu’ils font si bien.
C’est aussi un moyen de rendre l’art un peu plus accessible, de le démocratiser davantage.
Au travers de cette exposition, j’aimerais vraiment que les gens se disent que l’utopie doit être un mot à bannir de notre vocabulaire.
Quel message aimerais-tu faire passer au travers de tes œuvres et de cette exposition en particulier ?
Johanna Tordjman : Au travers de cette exposition, j’aimerais vraiment que les gens se disent que l’utopie doit être un mot à bannir de notre vocabulaire. Qu’ils se disent qu’on a tous notre place au musée ou dans des galeries.
Qu’on a pas besoin d’y connaitre grand chose pour oser y entrer, lorsque les gens me font cette remarque, je leur réponds que moi non plus je n’y connais rien, c’est d’ailleurs pour ça que je m’y rends, pour apprendre.
J’aime profondément les gens, j’aime profondément raconter des histoires, et j’aimerais qu’aujourd’hui cette histoire soit la nôtre. Qu’on n’ait plus besoin d’attendre des moments tragiques comme on a pu en connaitre ces dernières années en France pour se montrer qu’on peut être présents les uns les autres, qu’on ait pas besoin d’un statut #porteouverte pour aider ceux qui ont besoin de nous.
Quels autres artistes actuels t’inspirent ? Avec qui aimerais-tu travailler par exemple ?
Johanna Tordjman : Il y a plusieurs artistes qui m’inspirent, il y a ceux de mon entourage, Lossapardo qui fait des animations en peintures absolument remarquables, ou encore Abadidabou qui dessine exclusivement au bic.
J’aime énormément George Condo, j’admire aussi beaucoup le parcours de Virgil Abloh.
Pour ce qui est des collaborations, je préfère toujours travailler avec des gens qui viennent d’un autre univers que le mien, qui utilisent un autre medium, qui me permettrait de faire évoluer mon travail, que ce soit en vidéo, en photo, ou sur des vêtements.
Peux-tu nous raconter ton quotidien parisien ? Que fais-tu quand tu ne travailles pas ? Quelles sont tes adresses préférées ?
Johanna Tordjman : Je pense faire partie d’un cliché parisien, je me déplace en vespa, j’ai longtemps vécu dans le 11ème arrondissement, je suis aujourd’hui dans le 20ème. Je suis rive droite mais je travaille rive gauche principalement, donc j’ai cette chance de traverser les ponts quotidiennement, et je m’efforce de regarder les merveilles architecturales qui remplissent la ville pour que cela ne devienne pas banal.
J’adore flâner, j’adore déjeuner chez Paperboy, boire un verre au Little. Ces derniers temps j’ai un peu mis ma vie nocturne de côté car j’étais trop focus sur l’expo, mais je reprends du service, et l’hôtel Bourbon est parfait pour ça. Pour ce qui est de mes ballades arty, je ne peux pas négliger la rue de Turenne, chez Perrotin, ou chez Almine Rech, passage obligatoire. La fondation Louis Vuitton a une belle programmation aussi, j’y vais demain d’ailleurs. Grande amatrice de musique, je ne peux pas peindre sans en écouter, je vais très régulièrement à des concerts à plus ou moins grande échelle, je vais voir des shows très différents les uns des autres, je peux aller au baiser salé pour écouter du jazz, au New Morning pour un concert de Brass band, du hip hop, des groupes de rock de mon adolescence qui font leurs tournées nostalgie aussi…
Le blog s’appelle L’Arrogante. Quelle serait ton œuvre la plus arrogante ?
Johanna Tordjman : je pense que mon œuvre la plus arrogante serait celle que j’ai appelé : Paris va terrifier le monde, Jean-Jacques a un regard presque insolent, mais tellement attendrissant.
Paris va terrifier le monde, Royal Outcast, Johanna TordjmanMerci à Johanna pour ses réponses. Courez à la Galerie Sébastien Adrien 4 rue de Montmorency, Paris 3, pour voir son expo ! Vous pouvez également la suivre sur Instagram .