Libérer, protéger, unir. C'est le triptyque d'un faux bilan, le mauvais résumé d'un abus de bien social, un abus contre la République. Les publicitaires de la macronista publient cette semaine le compte-rendu d'une première année.
Un bilan détestable comme les gazages de migrants à Calais ou les matraquages d'étudiants à Paris.
Odieux comme le mépris d'une ministre de la Santé face à des infirmières épuisées.
Sinistre comme ce monarque qui moque "ceux qui ne sont rien".
Les premiers craquements
Il parait qu'ils sont une trentaine. Ce n'est pas nombreux, à peine 10% des député.e.s macronistes. Ils sont une trentaine à s'inquiéter de ne pas voir venir de volet "social" dans la politique jupitérienne. Dans ce petit groupe, il y a des ancien.ne.s socialistes, telle Brigitte Bourguignon, la présidente de la commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale, sans doute surpris de se retrouver à soutenir une politique que les grandes plumes de la presse néoconservatrice anglo-saxonne qualifie de Thatchérienne. Se croire "progressiste" et faire voter la réduction du budget de la Sécu sociale et, massive, de l'imposition de la fraction la plus riche du pays, ce n'est pas simple tous les jours.
A côté de cette minorité à scrupules, le MODEM de François Bayrou essaye depuis quelques mois d'incarner désormais d'aile gauche du camp jupitérien. Ce même MODEM a voté sans sourciller ni s'opposer le Code de la honte récusé par Amnesty International, la Cimade, Emmaüs et quelques centaines d'autres associations humanitaires.
On a les combats qu'on peut.
Quelques élu.e.s. parmi les plus cancres de l'Assemblée tel Bruno Bonnell s'autorisent des rares tweets sur les (maigres) mesurettes sociales. Car elles existent, reconnaissons-les, ces mesurettes sociales. Elles sont aussi nombreuses que marginales et financièrement insignifiantes. Les macronistes les plus fidèles les arborent comme des badges de bonne conduite sociale. A l'été 2007, Nicolas Sarkozy, alors si pressé de rendre service à ce "premier cercle" qui l'avait soutenu, financé et célébré au Fouquet's, avait fait voter son paquet fiscal avec comme "mesure sociale" l'exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires, pour masquer un renforcement du bouclier fiscal des plus riches. Chacune des mesures fiscales de Sarkofrance avait cette même hypocrisie, un petit pas pour les plus nombreux, un énorme cadeau pour quelques milliers de privilégiés.
Qui ne voit pas un évident parallèle avec la macronista ? Exhiber quelques dizaines d'euros d'augmentation du minimum vieillesse pour masquer quelques cent-cinquante mille euros d'économie annuelle d'ISF pour 350 000 foyers est tristement indécent. Qui a oublié que certains macronistes d'aujourd'hui braillaient alors contre cette hypocrisie de Sarkofrance d'alors ?
D'une présidence des riches à l'autre, l'histoire est cruelle.
Mercredi 16 mai, le gouvernement publie le bilan de sa première année. Edouard Philippe parle aux médias, qui relayent sans équivoque. L'occasion est trop belle de commenter.
Libérer les puissants
Première mesure mise en valeur pour "libérer" l'activité, les ordonnances Travail qui offriraient "plus de souplesses et de visibilité aux entreprises comme aux salariés". Le gouvernement ose expliquer qu'elles "favorisent et simplifient la négociation collective" alors que c'est tout l'inverse avec la fusion des instances représentatives des salariés et son corollaire la suppression de quelques 200 000 représentants du personnel. Certes, ces ordonnances "consacrent la hausse des indemnités légales de licenciement" mais à quel prix ? La facilitation des licenciements. La belle affaire !
Le gouvernement se félicite de la baisse des cotisations sociales (mais il masque les autres augmentations d'impôts), il s'applaudit: "le travail, y compris le travail indépendant, paie mieux qu’il y a un an", et pourtant l'INSEE, à deux reprises, a dénoncé une baisse du pouvoir d'achat.
Plus hypocrite encore, les publicitaires de Matignon se réjouissent que "toute la fiscalité ait été repensée" (ce qui est vrai) "pour favoriser l’investissement productif" (ce qui est faux): la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n'est accompagné d'aucune condition d'investissement productif. Même Sarkozy en 2007 s'était abstenu pareille bêtise. Pas davantage conditionnée, la fiscalité des revenus du capital a été abaissée à 30%, cotisations sociales comprises, pour tous les revenus financiers: l'argent qui dort rapporte fiscalement mieux que le travail... Pas belle la vie ?
Macron (pour)suit une politique fiscale irresponsable qui ne favorise pas l'investissement mais la rente et le placement financier.
Dans son bilan, le gouvernement égrène ses "milliards" d'investissements publics en tous genres, sans détail. Evacués la transformation énergétique. Oubliée la fermeture de centrales nucléaires. Caché le sauvetage de l'industrie nucléaire française en quasi-faillite. Le plus grand plan social que la France ait connu - le plan "Action Publique 2022" et ses 120 000 suppressions de postes - est sobrement décrit comme une décision pour "encourager et diffuser l’innovation dans la fonction publique."
Où est l'équilibre d'une politique qui rend plus à 400 000 foyers les plus riches qu'à 21 millions de foyers populaires ?
Protéger les riches
Le volet "protection" de ce bilan annuel est maigre dans sa composante sociale: sans surprise, le gouvernement ne met jamais en rapport les masses financières en jeu pour que l'on juge réellement, objectivement de l'inéquité de sa politique sociale et économique. Il ment quand il affirme avoir "protégé le pouvoir d’achat grâce à la suppression de la taxe d’habitation": cette dernière baisse, pas immédiate, représentera 3 milliards d'économie l'an prochain. Mais la baisse du pouvoir d'achat des ménages est estimée à 4,5 milliards d'euros cette année. Il ment quand il affirme avoir "protégé contre la précarité grâce à la revalorisation de tous les minima sociaux et du soutien aux familles les plus modestes" alors qu'il a fait adopter par ordonnance la création du contrat de travail le plus précaire que la Vème République ait connu; qu'il a remplacé un système d'affectation post-bac défaillant par un système plus élitiste et plus précarisant pour le plus grand nombre. Qu'il a réduit les APL, augmenté le forfait hospitalier de 2 euros pour les patients, même les plus précaires, réduit le nombre d'emplois aidés.
Cette présidence des riches est d'abord protectrice du statut des riches.
Matignon se félicite d'une meilleure "protection contre les risques sanitaires" grâce à son plan de vaccination, une opération au passage très rentable et bienvenue pour les labos. Il loue son "plan d'accès aux soins" qui "permettra de lutter contre les déserts médicaux, en doublant le nombre de maisons de santé, en généralisant la télémédecine et en augmentant le nombre de médecins dans les zones les moins dotées". Mais pas un mot sur le plan d'économies voté dans le cadre du projet de loi de financement de la protection sociale pour 2018 (4 milliards), ou la suppression de 30 000 postes d'infirmier.e.s. Pas un mot sur ces 1,6 milliard d'euros d'économie demandés aux établissements de santé et médico-sociaux, ni sur les 340 millions d'euros de déremboursements de médicaments ou les 320 millions de "réductions de soins". Pas un mot sinon un mépris de classe et quelques matraquages quand des personnels de santé à bout protestent de leurs conditions de travail.
"L’économie demandée aux établissements de santé pour 2018 s’élève à 1,6 milliards d’euros, dont 960 millions d’euros pèseront directement sur les établissements de santé en 2018, le différentiel (640 millions d’euros) partira sur des économies relatives à différents mécanismes (baisse des prix des médicaments, économies de fonctionnement dans la gestion interne des établissements ou la prise en charge des patients, etc.)." Force Ouvrière Santé, 9 mai 2018.Protection contre le mal-logement ? Macron a soigneusement évité de réformer l'encadrement des loyers, une mesure Hollande contestée en justice. En décembre, il est contraint de reconnaitre son échec contre les sans-logements, tandis qu'un député macroniste se répand sur les plateaux télévisés pour expliquer que les SDF préfèrent la rue.
"Protéger les Français contre les risques du chômage" ? Les ordonnances "Travail" facilitent les licenciements, réduisent la représentation des salariés. Dans son bilan, le gouvernement va jusqu'à mentir en affirmant que "les salariés qui souhaitent développer un projet personnel pourront, une fois tous les cinq ans, démissionner, tout en conservant leur droit à une indemnisation au titre du chômage." Les conditions fixées à ces cas sont telles qu'une dizaine de milliers de personnes seront éligibles.
Sur les ondes radiophoniques, le ministre de l'économie Bruno Le Maire reconnait sans sourciller qu'il faudra réduire les aides sociales: "Expliquer qu'on va réduire la dépense publique sans rien toucher aux aides sociales ce ne serait pas cohérent et pas juste ni lucide vis-à-vis des Français."
Ce grossier double langage porte également ses fruits sur l'Education nationale: tandis que le ministre Blanquer se félicite de sa première année rue de Grenelle, ses services avouent qu'un tiers des bacheliers, soit 270 000 élèves, devraient être recalés de la première phase de réponses post-bac de Parcoursup. Ses réformes du bac et de l'accès à l'enseignement supérieure ont introduit une logique de classe et de sélection qu'il se refuse à reconnaitre, au motif que la massification de l'enseignement ne fonctionnerait plus. par ailleurs, le même ministre se refuse à dévoiler le nombre de postes enseignant et administratif qu'il supprimera dans les 4 années à venir, malgré le "babyboum scolaire", pour contribuer au plan social de la fonction publique.
La volet "protection de l’environnement" dans ce bilan fatiguant est heureusement court: le gouvernement se félicite d'avoir "accéléré la mise en œuvre de l’accord de Paris", ce qui est faux, la réalité est inverse: il omet de mentionner la ré-autorisation de l'importation de l'huile de palme (300 000 tonnes par an pour aider TOTAL) par Nicolas Hulot. Il tait l'abandon du plan de transformation énergétique décidée sur Hollande, le maintien de centrales nucléaires délabrées. Il fait silence sur le matraquage des écolos de Notre-Dame-des-Landes ou la prolongation de l'autorisation du glyphosate.
Unir ... les droites ?
Le dernier chapitre de ce bilan officiel s'intitule "unir".
Vraiment ?
La novlangue macroniste n'est pas moderne. Elle est sans doute plus efficace que les précédentes. Ce bilan de la première année serait incomplet sans un rappel que chaque contre-réforme habillée de modernité neo-libérale a été accompagnée de saillies verbales odieuses mais franches de la part de députés et ministres macronistes trop zélés. La cascade de faux dérapages et véries confessions, odieuses, sur l'état d'esprit de cette macronista à l'égard de la France d'en bas a peu à voir avec "l'union", bien au contraire.
"Il y a trahison du Réel par le discours sous l’ère Macron. Il utilise les mots pour leur faire dire le contraire de ce que dit le Réel tout en ayant la prétention de décrire le Réel." Frédéric Lordon.Quand Macron supprime les APL, on se souvient de la députée Claire Petit: "Si à 18, 19 ans, 20 ans, 24 ans, vous commencez à pleurer parce qu'on vous enlève cinq euros, qu'est-ce que vous allez faire de votre vie ?" Quand on accuse le gouvernement d'échec dans sa lutte contre le mal-logement, on se souvient du député Sylvain Maillard: "la majorité des SDF dorment dans la rue par choix". Quand deux infirmières interpellent le président en visite dans leur établissement, on se souvient de l'attitude méprisante de la ministre Agnès Buzyn. La même qui expliquait que "la Sécu n'est pas là pour offrir des montures Chanel à tout le monde".
Quand Macron refuse la suppression du "verrou fiscal", cette disposition assez unique qui laisse au ministre des finances, et non à la Justice comme d'ordinaire, l'opportunité de décider des poursuites en cas de fraude fiscale, où est l'union ?
Quand Macron fait croire que 30 000 places de stages hebdomadaires pour des élèves de troisième des quartiers difficiles a un quelconque rapport avec un plan banlieues, de qui se moque-t-il ?
Quand Macron envoie les bulldozers à NDDL avant même d'évaluer les projets de reconversion de ce territoire qu'il a fort heureusement sauvé d'un aéroport inutile, où est l'union ? Il massacre l'une de ses rares décisions d'apaisement de ce début de quinquennat. Cette semaine, des employés d'entreprises de démolition, portant masques ou cagoules sont venus "finir le travail" de démolition.
Le plus ignoble de ce bilan est sans doute le court chapitre sur la réforme de la politique migratoire, une réforme applaudie par le Front national pour ses mesures restrictives sur le droit d'asile. Le "Code de la Honte", comme l'ont qualifié quelque 400 associations, a été voté en l'absence d'une centaine d'élu.e.s macronistes gêné.e.s par cette "tâche". Matignon a raison d'écrire qu'il "accélère le traitement des demandes d'asile" - notez la novlangue administrative : la loi réduit le délai de dépôt de dossiers pour expulser plus vite. mais il rallonge les délais de rétention, y compris des enfants, pour expulser plus efficacement. Cette semaine, Jupiter va faire le beau dans un sommet pour promettre que la France sera généreuse pour accueillir les victimes de discriminations sexuelles. Comment retenir sa nausée en mesurant le décalage avec la réalité de la politique d'accueil de la Macronista ?
"Lors de sa visite à Calais en janvier 2018, Emmanuel Macron, avait annoncé que l’État se chargerait de la distribution des repas auprès des migrants. Une décision censée améliorer le sort des exilés. Pourtant, la répression policière n'a pas cessé, à laquelle les bénévoles assistent, impuissants. Comme Marion Deloule, 23 ans, épuisée, qui s'est mise en pause." Bondy Blog, 17 mai 2018
Le gouvernement ose également penser que la réforme de la SNCF, d'abord justifiée en stigmatisant ces "profiteurs de cheminots", aide à unir le pays alors qu'il ne s'agit que de faciliter la gestion des "ressources humaines" de la SNCF quand le rail sera privatisé. Quand des cheminots sont expulsés de leur gare à coups de matraques et gaz lacrymo, où est l'union ?
"Ces transformations, nombreuses, nécessaires, profondes, ne connaîtront ni atténuation, ni temps morts. En libérant plus d’un côté, en protégeant mieux de l’autre, elles renforcent et modernisent le modèle français. Un modèle auquel le Gouvernement et sa majorité, comme l’ensemble des Français, sont profondément attachés." (conclusion du bilan gouvernemental).
Cette contre-révolution, thatchérienne , violente, profonde, ne connaitra ni atténuation, ni temps mort. En défendant le statut des riches, en protégeant les bien-nés, en délégitimant l'exigence républicaine de solidarité et d'accueil, elle transforme le modèle français.