Dans mon précédent billet, j'avais évoqué les graves problèmes structurels de la zone euro, que certains refusent de voir en face... Aujourd'hui, je vous propose de faire un saut de l'autre côté de l'Atlantique et de revenir sur les mesures protectionnistes prises au mois de mars 2018 par Donald Trump contre la Chine, accusée "d'agression économique" contre les États-Unis. Aujourd'hui, nous allons voir que cette décision, si elle peut être fondée politiquement, est catastrophique sur le plan économique...
Rappels sur les décisions de Trump
Après avoir lancé la bataille de la sidérurgie en annonçant la taxation des importations d'acier et d'aluminium respectivement de 25 % et 10 %, Trump a déclaré la guerre commerciale à la Chine ! Pour ce faire, il avait chargé Robert Lighthizer, qui avait déjà ouvert une enquête au titre de la loi sur le commerce de 1974 (la célèbre section 301) sur les pratiques commerciales chinoises consistant notamment à exiger la création de co-entreprises (joint-venture) pour s'implanter dans l'Empire du milieu, de proposer une liste de produits chinois qui pourraient subir des droits de douane supplémentaires.
Les conséquences d'un tel protectionnisme
Politiquement, le coup a porté et peut être mis au crédit de Trump pour les prochaines élections ; économiquement, c'était probablement la pire chose à faire au vu de la segmentation de la chaîne de valeur dans l'industrie américaine. En effet, au vu des différentiels de coûts salariaux unitaires, il est improbable que des droits de douane puissent conduire à la relocation de pans entiers de la production industrielle aux États-Unis.
Certes le gouvernement chinois n'est pas exempt de critiques sur la manipulation de sa monnaie, l'espionnage industriel et les cyberattaques, mais déclarer ouvertement la guerre commerciale à la Chine n'est certainement pas une bonne idée lorsque la production locale américaine n’est plus en mesure de se substituer aux importations. Dès lors, une telle surtaxation des importations débouchera seulement sur une hausse du prix des importations et le volume des importations ne variera guère... Pire, le déficit commercial risque même de s'aggraver en valeur ! Au bout du compte, les prix augmenteront aux États-Unis, ce qui sera défavorable aux consommateurs et à la croissance.
Le financement des États-Unis par la Chine
Aux États-Unis, ce n'est pas que la balance commerciale qui est en déficit (graphique 1), mais aussi la balance courante qui inclut les biens, services et revenus (graphique 2) :
Graphique 1
[ Source : Natixis ]
Graphique 2
[ Source : Natixis ]
Pour le dire simplement, les États-Unis importent bien plus qu'ils n'exportent, la différence constituant le déficit de la balance courante. Et devinez qui finance cet énorme déficit ? Les pays excédentaires comme la Chine ! Généralement cela se fait au travers de l’accumulation de réserves de change par les Banques Centrales, résultat de l’énorme volume d'exportation de la Chine :
[ Source : Le Figaro ]
Pour mémoire, les réserves de change sont les avoirs détenus par les Banques centrales sous forme d'or, de devises convertibles et de DTS (Droits de Tirages Spéciaux, qui est l'unité de compte du FMI basée sur un panier de monnaies dont fait désormais partie le Yuan chinois) ; mais le plus souvent, en fait de devises, ce sont plutôt des titres en devises (essentiellement des bons et obligations du Trésor) qui constituent les avoirs de réserve.
D'où le bouclage du circuit entre les États-Unis et la Chine : les Américains consomment à crédit des produits chinois peu chers grâce aux financements à bas coût accordés par les Chinois sous forme d'achats de bons du Trésor américain. Et comme la consommation américaine est hypertrophiée et que les réserves de change des Chinois le sont tout autant, on réussit le tour de force de marier depuis longtemps les intérêts des uns avec ceux des autres, tout en s'accusant mutuellement de ne pas respecter les engagements commerciaux internationaux. Pragmatisme ou cynisme ? Le lecteur décidera...
Mais si Trump devait réussir à réduire les importations chinoises, tout le circuit de financement exposé ci-dessus tomberait à l'eau, c'est-à-dire que les Américains devraient compter sur leur propre épargne pour financer le déficit public. Osera-t-il aller jusque-là au vu du faible taux d'épargne de la nation ?
[ Source : Natixis ]