Depuis quelques années, les « personas » sont devenus incontournables dans l'arsenal des spécialistes de l'expérience utilisateur, notamment pour la conception de services web et mobiles. Malheureusement, leur popularité les a rapidement transformés en simulacres absurdes, leur finalité étant trop souvent oubliée.
En toute transparence, je dois d'abord admettre que je ne suis pas expert en application de la technique des « personas », vis-à-vis de laquelle j'ai, en revanche et de longue date, quelques réticences. Si j'en crois un billet de Laurel Erickson (Gartner) sur le sujet, une raison probable pour laquelle je n'ai jamais perçu son intérêt pratique, au-delà de l'illustration susceptible d'égayer une présentation PowerPoint, pourrait simplement être de n'en avoir jusqu'à maintenant expérimenté que des usages déviants classiques.
Ainsi, présenter, en amont d'un projet (voire en avant-vente), une série de profils d'individus, génériques et stéréotypés, censés représenter les cibles d'un parcours client en cours d'élaboration, pour les oublier aussitôt – littéralement – ne m'a jamais paru particulièrement productif. Dans les meilleurs des cas, ils ressortent épisodiquement de leur boîte pour justifier tel ou tel choix de design, sans que les arguments fournis ne soient très convaincants, servant alors plutôt d'excuse éhontée face aux non initiés.
L'erreur courante est de croire que le « persona » a pour vocation d'aider à comprendre les comportements des futurs utilisateurs, afin d'adapter au mieux les solutions à leurs attentes. Or le simple fait d'avoir créé la fiche de Jean Dupond, 33 ans, marié et père de 2 enfants, cadre parisien…, ne facilite évidemment pas la découverte objective de ses besoins fondamentaux. Et, logiquement, quand l'exercice en reste là, il ne produit aucun résultat et est abandonné, emportant avec lui les velléités de « centricité client ».
Pour avoir une quelconque valeur, le « persona » devrait être abordé comme une sorte de support de documentation. À partir d'enquêtes auprès des consommateurs, d'analyse des pratiques, d'études de marché… il va cristalliser, pour chaque catégorie de population cible, les observations collectées et la compréhension des usages qui en est dérivée. Les concepteurs peuvent ensuite s'y référer à tout moment et se remettre de la sorte dans la peau de l'utilisateur type identifié, en pleine empathie avec son contexte et ses motivations, afin d'ajuster des orientations, valider des décisions…
Il en est hélas avec les « personas » comme avec la plupart des outils et méthodes mis en œuvre en entreprise : utiles et efficaces quand ils sont exploités à bon escient, ils se transforment fréquemment en gadgets à la mode – donc obligatoires – dont les adeptes de la dernière heure ne conservent que les atours les plus triviaux (souvent par pure paresse), en perdant de vue leur raison d'être et l'objectif qu'ils doivent servir. Comment s'étonner alors que la qualité de l'expérience client, entre autres, progresse si peu ?