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BICHON Ier ET LE SAUVAGE

Publié le 03 juin 2018 par Agathe

« Les exploits de Bichon sont de même sorte que les ascensions spectaculaires : des démonstrations d’ordre éthique, qui ne reçoivent leur valeur finale que de la publicité qu’on leur donne (…) Bichon est un bon petit Français, il adoucit et soumet sans coup férir les sauvages ».

Roland BARTHES

Ainsi le mâle blanc Macron a-t-il reçu en son palais l’héroïque homme-singe Gamassa. Sous les caméras, devant le pays chaviré, ils ont échangé, tout sourire, l’un en bon français afro-paternaliste, l’autre en petit nègre. Rien à redire. On est dans la tendre, la nostalgique imagerie. La gloire de l’Empire. Cent vingt de quotient intellectuel chez l’hôte élyséen contre soixante chez le visiteur montreuillois (chiffres moyens fournis par la fachosphère, mais nul doute que l’écart était encore plus criant dans cette confrontation sociale des extrêmes). Un gouffre. Et un devoir de civilisation en retour. Le fardeau de l’homme blanc toujours remis à l’ouvrage. La République tenue de se montrer magnanime. Tu seras Gaulois et pompier, mon fils, pour le plus grand profit de ton évolution individuelle et raciale. Epanouis-toi, garde ta fraîcheur, et sois à jamais reconnaissant envers tes maîtres. Bichon Ier n’a pas naturalisé Mamoudou Gamassa : il l’a recolonisé.

A chacun sa vérité et sa récompense. Des régimes de bananes pour Taubira, la congoïde acculturée et sournoise, celle qui citait René Char et corrompait les mœurs millénaires des souchiens. Une poignée de cacahuètes pour Mamoudou, le roi virevoltant de la jungle urbaine, le bon nègre innocent d’une Afrique fantasmée, non perverti dans ses instincts, modeste, respectueux. D’un châtelain l’autre, par-delà l’hétérogénéité des profils, clivants ou consensuels, les marqueurs symboliques ne varient pas. Point de morte-saison au zoo humain.

Cette histoire édifiante ne saurait être envisagée que sous l’angle des questions migratoires et de la mise en scène hyperbolique de la rédemption d’un clandestin – ceci sur fond bien réel de xénophobie et de comportements publics iniques à l’égard de l’écrasante majorité des réfugiés et autres sans-papiers. Plus profondément, elle devrait interroger ceux qui se proclament « racisés » par l’État, Indigènes de la République, Indivisibles, quant aux vieilles représentations encore à l’œuvre dans le système de domination.

Il existe une perception binaire de la discrimination, selon qu’elle fustige la racaille ou feigne d’encourager l’immigré assimilé et méritant. C’est là qu’il ne faut pas se tromper d’ennemi principal. Entre le discours suprémaciste épurateur d’une meute de youtubeurs caucasiens allumés et débiles, les obsédés de la submersion ethnique, les théoriciens claquemurés du grand remplacement, autant de guerriers de papier, et la fausse bienveillance de nos chères belles âmes qui pratiquent l’intégration au rabais, le choix est vite opéré. Les seconds sont, de loin, les plus redoutablement nocifs. Ils ne produisent pas leur tests ADN, ne gonflent pas leurs biceps, ne dégueulent pas leur haine. Au contraire. Ils se démarquent avec mépris et indignation des ségrégationnistes de tout poil. Ils sont ouverts au vaste monde. Magnifique. Mais ils savent assujettir en douceur leurs amis de l’immigration afro-maghrébine, en les assignant à rejouer sans cesse la comédie d’une altérité positive, stéréotypée, qui finit par ressembler à un délit de faciès à l’envers.

Sous ce rapport, le monte-en-l’air néo-Français Mamoudou Gassama, à travers les centaines de milliers de commentaires qui ont salué sa geste, est en réalité la victime du niveau le plus frustre de la racialisation structurelle comme du stade le plus élaboré de la récupération.

Revenons à Barthes pour conclure : « L’astuce profonde de l’opération Bichon, c’est de donner à voir le monde nègre par les yeux de l’enfant blanc ». L’enfant blanc, en l’occurrence, n’étant pas le petit rescapé cascadeur du quatrième étage, mais l’habile, le fourbe freluquet Emmanuel Macron. Bichon Ier, l’amadoueur de sauvages.

François de Negroni.


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