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Mutafukaz. Carnaval politique

Par Balndorn

Mutafukaz. Carnaval politique
Résumé : Angelino est un jeune loser parmi tant d’autres à Dark Meat City, une mégalopole sans pitié sous le soleil de Californie. La journée, il livre des pizzas dans tous les recoins de la ville et la nuit, il squatte une chambre d’hôtel minable avec son coloc Vinz et une armada de cafards qui font désormais un peu partie de sa famille. À la suite d’un accident de scooter lorsque son chemin a croisé par inadvertance la divine Luna, une fille aux cheveux noir de jais, notre jeune lascar commence à souffrir de maux de tête et d’étranges hallucinations. Des hallucinations, vous avez dit ? Hmm, peut-être pas... Pourchassé par des hommes en noir, Angelino n’a plus aucun doute : il est pris pour cible. Mais pourquoi lui ? 
Mutafukazappartient à ce genre de films déjantés qui partent à tout moment dans tous les sens. Par bien des aspects, il rappelle Lou et l’Île aux sirènes, Grand Prix du festival d’Annecy l’an dernier. Néanmoins, là où ce dernier s’embourbe dans le délire carnavalesque, Mutafukaz s’en sort assez bien. La raison ? Le carnaval s’aligne avec la subversion politique.
Carnaval et subversion de l’ordre
Historiquement parlant, ce n’est pas nouveau. Dans le Moyen-Âge de l’Europe chrétienne, la semaine du carnaval jouait le rôle de soupape de sécurité : durant quelques jours, l’Église tolérait les débordements dionysiaques des classes populaires, histoire d’en expurger les passions. Ensuite, tout rentrait dans l’ordre.Les singeries, grimaces, farces et autres blagues de l’esth-éthique carnavalesque ont donc pour finalité première le discrédit des autorités, qu’on rabaisse de manière grotesque à la dure réalité. Pourtant, depuis la sécularisation d’une bonne partie du monde, le carnaval, ayant perdu son ennemi, perd en retour sa vigueur politique. Son délire devient fin en soi : le joyeux carnaval des écoliers et Lou et l’Île aux sirènes en sont les conséquences.Mutafukazn’obéit pas à cette logique. Son esth-éthique carnavalesque cheville au corps un propos politique subversif. Certes, l’Église a déserté la cité mal famée de Dark Meat City ; raison de plus pour chercher d’autres adversaires, à commencer par les autorités politiques, dont la police représente la face émergée.De l’union du manga originel, de l’esprit carnavalesque et de la culture populaire (portée par les voix traînantes d’Orelsan et Gringe) découle un produit hybride, tentaculaire, à l’image des appendices qui jaillissent des créatures qu’Angelino (doublé par Orelsan) seul aperçoit. Le film est littéralement touche-à-tout. À chaque séquence, son inventivité formelle : noir et blanc, couleurs saturées, ralentis, cartons lus en voix-off par les personnages, un chef de gang déclamant Shakespeare… Mutafukaz déborde d’énergie et fait craquer les cadres des genres.
Les limites de l’émeute
C’est là que cette subversion formelle rejoint la subversion politique. Mutafukazreprend en effet l’intrigue d’Invasion Los Angeles, grand film complotiste : comme l’œuvre de John Carpenter, Mutafukaz traque des êtres mystérieux – les Macho – qui dominent la planète en prenant une apparence humaine. Face à la chape de plomb socio-politique imposée par les Macho, qui terraforment la Terre à leur avantage par le réchauffement climatique, la résistance réside dans l’éclatement des cadres, dans la déchirure du silence. D’où cette mise en scène qui fuse de partout ; qui déchire les apparences trompeuses ; qui fouaille les corps en quête de vérité. Carnaval et complotisme se rejoignent.La comparaison avec Invasion Los Angeles ne s’arrête pas là. Mutafukaz a gardé de Carpenter les forces et les faiblesses. Car la force exubérante que déploie Angelino (et le film en général) conduit à porter aux nues une conception résolument viriliste de l’existence. Apanage des hommes musclés – dont les lutteurs bodybuildés de la Lucha Ultima constituent la quintessence –, le courage manque aux faibles, tel Willy (Redouanne Harjane), et surtout aux femmes. Comme dans Invasion Los Angeles, les femmes sont les grandes absentes de la révolution fictionnelle. On n’en compte que deux dans Mutafukaz : la mère d’Angelino, tuée au cours d’un flash-back lorsqu’il était bébé ; et Luna (Kelly Marot), magique et ensorcelée. Les deux se cantonnent aux rôles féminins assignés par le patriarcat : le careet la passion.Tout carnaval a ses limites. Il est cependant dommage qu’elle reprenne celles en vigueur dans la société qu’il subvertit.
Mutafukaz. Carnaval politique
Mutafukaz, Shoujirou Nishimi et Guillaume « Run » Renard, 2018, 1h33
Maxime
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