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On n'arrête pas un peuple qui danse, de Sarah Chardonnens

Publié le 08 juin 2018 par Francisrichard @francisrichard
On n'arrête pas un peuple qui danse, de Sarah Chardonnens

D'aucuns prennent la voiture, le bus, le train ou l'avion pour rejoindre leur lieu de travail. Sarah Chardonnens n'est pas de ce genre-là. Pour elle, le moyen de transport idéal, c'est la moto, les cheveux au vent.

C'est donc en moto qu'à l'été 2015, elle part de La Tour-de-Peilz pour Beyrouth, où elle va travailler pour l'UNRWA, l'agence des Nations-Unies ayant pour mandat l'assistance des réfugiés palestiniens au Moyen-Orient :

Aujourd'hui, rien qu'au Liban, l'UNRWA assure le bon fonctionnement de soixante-sept écoles et vingt-sept cliniques réparties dans douze camps à travers le pays. Assurant l'accès à l'éducation et à la sécurité sociale, l'UNRWA remplit, d'une certaine manière, les fonctions régaliennes d'un État de droit.

(c'est un point de vue: avant que n'émerge le concept d'État-providence, les fonctions régaliennes c'étaient la justice, les sécurités intérieure et extérieure d'un État...)

Avant de pouvoir parler du pays et d'y faire son voyage en Orient - qui n'a rien à voir avec ceux de Gérard de Nerval et de Gustave Flaubert qu'elle a lus et qu'elle cite - elle chevauche sa Part, la petite moto de 125 cm3 qu'elle a achetée en Syrie en 2011.

Sarah Chardonnens ne fait pas les choses comme tout le monde. Son voyage, à partir de la Suisse jusqu'au Liban, est à rebours du courant migratoire de l'année. Et des migrants, rencontrés en Turquie, le lui font malicieusement remarquer:

Il paraît [...] que tu viens d'un pays où nous rêvons tous d'aller, et que tu t'en vas vers un autre que nous avons tous quitté !

Toujours en Turquie, des motards libanais, qui eux chevauchent des Harley et qui ont simplement fait un tour à Antalya, se moquent tout aussi malicieusement de sa moto de livraison de pizza...

Sarah Chardonnens ne fait pas les choses comme tout le monde: ce n'est tout de même pas la bureaucratie qui va entraver sa liberté de mouvement. Elle voyage en effet avec de fausses plaques et de faux papiers, et elle entre en Turquie sous une fausse marque de moto...

Une fois sur place, au Liban, elle circule avec une moto achetée sur place, une petite Volty jaune (Suzuki), de 250 cm3, et rédige ses chroniques libanaises, où elle tient des propos d'une liberté d'esprit réjouissante, nourrie par le terrain:

Dans cette région du monde, chaque communauté, ou presque, a été tour à tour victime et bourreau.

L'appartenance religieuse [n'est] que le cache-sexe d'une impitoyable compétition communautaire sur les capitaux sociaux, politiques et économiques.

Le plus grand malheur qui touche la population palestinienne et qui est - paradoxalement - également son plus grand espoir se prénomme: "le droit au retour".

Continuons à promouvoir et à soutenir une solution juste pour le Palestinien et, en parallèle, insérons les réfugiés palestiniens dans les pays où ils se trouvent.

Tout comme la perfection est la conscience du manque, l'interdit et la privation renforcent la passion pour laquelle on idéalise et lutte pour une cause. Ou pour laquelle une cause est instrumentalisée.

Lorsqu'on se construit en opposition à quelque chose, contre des idées, alors on a échoué.

Quoi de plus confortable que de suivre un bon maître qui nous décharge du fardeau décisionnel, tout en prenant bien soin que nous ne manquions de rien ?

Ces propos bien sages sont autant de lumières projetées contre l'obscurantisme, mais Sarah, prénom commun aux trois religions du Livre, ne l'est pas complètement, sage. En cela elle est bien humaine et c'est, après tout, rassurant.

C'est en effet la même Sarah qui écrit en cours de livre :

Réfléchir ? Voilà bien quelque chose qui ne m'est pas familier. Réfléchir à quoi ? La réflexion tue l'action.

Pour de la nourriture et du vin je reste.

C'est plus fort que moi, j'aime l'irrationalité avec laquelle on peut défendre une cause.

Violence destructrice et merveilleuse générosité, pourrais-je vivre sans cela ?

Au fond Sarah Chardonnens aime les contrastes et, au pays des Cèdres, elle est servie. Elle y a la confirmation que les êtres humains sont contradictoires, comme elle. Elle y apprend aussi que le secret de la résilience de ses habitants est d'être à même, si nécessaire, de transformer la mort en vie...

Et puis, comme le chante Georges Brassens, qu'elle cite:

Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente...

Francis Richard

On n'arrête pas un peuple qui danse, Sarah Chardonnens, 336 pages, L'Aire

Livre précédent:

Parfum de jasmin dans la nuit syrienne (2015)


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