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La manipulation économique des réseaux sociaux

Publié le 11 juin 2018 par Infoguerre

La manipulation économique des réseaux sociaux

Liker/aimer une page est très courant sur les réseaux sociaux pour dire que l’on apprécie quelque chose. Le créateur du Like est Justin Rosenstein en 2009, travaillant à l’époque pour Facebook. Ce que l’on ne se sait pas toujours, c’est que quand on aime une page, on y est abonné d’office. Pourtant le Like, c’est uniquement un avis d’un internaute à un moment T.

Un Like c’est un potentiel client, un potentiel ambassadeur pour une marque ou un Like sans grande valeur. Les pages les plus Likées sur Facebook, au niveau mondial concernent le football (C. Ronaldo, le Réal Madrid, FC Barcelone, Messi), Coca Cola et la musique avec Shakira et Emimen. Les pages plus aimées et populaires ont en commun un côté personnel et affectif. Il s’agit de jouer sur l’émotion, c’est l’économie de l’attention ou du web affectif. Sur le web quand on aime on ne compte pas ses clics. Les leviers cognitifs sont activés dans le but de multiplier les interactions.  De ce fait, il est alors possible d’acheter des Like, de les automatiser via des robots pour mettre en valeur le contenu de sa page et s’offrir plus de visibilité.

Les Like de Facebook, un outil de manipulation ?

Au-delà de la valeur de ces Like, ils sont étudiés comme le reste de nos réponses, de nos achats. Ces valeurs affectives donnent aux analystes des données personnelles. Selon une étude à l’université de Cambridge et de Stanford il est dit que Facebook nous connaîtrait mieux que nos proches, l’algorithme n’a besoin que de 10 Like pour analyser nos goûts alors que pour la famille ou le conjoint il en faudrait au minimum 150. Le Like pourrait dégager des caractéristiques des internautes tels que le QI, la préférence politique, l’orientation sexuelle et si les parents se sont séparés quand l’internaute était plus jeune. Néanmoins Facebook offre une audience incroyable et c’est ce qui intéresse nos annonceurs. Les hommes politiques ont leur page, Obama était l’un des premiers. Cela est devenu indispensable en termes de visibilité. Trump lors de son élection en est une preuve certaine. Tout est fait pour créer une dépendance avec ce clic très rapide et souvent éphémère.

Le piège potentiel des sites où les internautes donnent leurs avis

Oobah Butler est journaliste à Londres. En seulement six mois, il a réussi à faire en sorte que son restaurant fictif «  The Shed at Dulwich » devienne numéro 1 des établissements londoniens sur le site de TripAdvisor. A la suite de sa propre expérience de rédacteur professionnel pour des restaurateurs sur TripAdvisor, Oobah Butler décide de tester les limites de ce système : créer un faux restaurant et le positionner en tête de liste. Un pari réussi puisqu’en 6 mois sa cabane restaurant est classée numéro un de Londres sans jamais avoir servi un seul plat. Pour cela, il lui a suffi d’acheter un nom de domaine, ouvrir son site, créer un menu, des plats élaborés, quelques photos artisanales faites par ses soins et de nombreux amis qui postent des avis élogieux. Astuce du faux restaurateur : des réservations en ligne uniquement afin de n’en prendre aucune. Ce restaurant tant convoité affiche qu’elle est complet et les avis positifs continuent de tomber des 4 coins du monde. Oobah Butler désirait voir jusqu’où le bouche-à-oreille et la désinformation pouvaient aller. Il révèle finalement la supercherie. TripAdvisor reconnaît s’être fait piéger et ne voit pas l’intérêt de créer un faux restaurant. Cependant son pari est gagné.

Des cas d’école

TripAdvisor

Créé en 2000, TripAdvisor est une entreprise américaine cotée au NASDAQ. Le site offre des avis et des conseils touristiques émanant de consommateurs voyageurs sur des hôtels, restaurants et villes à l’international. C’est aussi un comparateur de tarifs hôteliers. TripAdvisor est gratuit pour les internautes et payant pour ses annonceurs. Son modèle économique est fondé sur 3 sources de revenus : au clic, à la publicité et aux abonnements des annonceurs. Des modérateurs du site contrôlent les avis déposés. En cas de fraude sur des avis ou des notations mensongères, selon « ses critères de publication », le site se réserve le droit de dévaluer un établissement. Quant aux avis négatifs, ils ont aussi un impact économique sur la vie du restaurant. TripAdvisor se développe et achète diverses sociétés dans le tourisme et notamment  La Fourchette en mai 2014.

La Fourchette

La Fourchette propose aux internautes des réservations de tables en Europe, avec ou sans réduction et met en concurrence des tables susceptibles de plaire à l’internaute en fonction de ses critères de recherche. Ce site offre de la visibilité au restaurateur avec la Fourchette manager. Certains restaurants se disent ravis en termes de remplissage, de temps gagné de réservation en ligne et de retours client. A son tour le client a la possibilité de noter le restaurateur dans le cas où la réservation est honorée. Notons que la Fourchette est un site très controversé, quant à son impartialité et à la justesse des informations mises en ligne.

Quelle est la fiabilité de cette économie ?

Des restaurateurs se sont rendus compte que des informations comme les horaires d’ouverture ou alors la qualité des plats servis ne correspondaient pas à la réalité sur le site. Un restaurateur ne comprenait pas pourquoi soudainement le soir, il n’avait plus autant de clients que d’habitude. Au bout de quelques semaines il s’aperçoit que le site La Fourchette indiquait que le restaurant était fermé le soir. Le même restaurateur avait refusé de pratiquer les réductions demandées par le site. Un autre restaurateur a attaqué TripAdvisor : il ne souhaite pas être référencé sur son site, ni le payer. « Il n’a pas attendu la Fourchette pour avoir sa propre clientèle et ne souhaite pas être comparé à d’autres restaurants qui ne sont pas équivalents » dit-il. Ce restaurateur réalise même une vidéo postée sur YouTube, vue un million de fois, dans laquelle il interpelle le site. Le site propose comme la Fnac ou Amazon un algorithme qui suggère des tables similaires. Et c’est sur ce point que le restaurateur attaque le site. Le site lui répond « nous n’autorisons pas les propriétaires d’établissements à déroger à TripAdvisor, sauf si leur restaurant est fermé ». Étonnamment, les commentaires positifs des proches des restaurateurs ne sont pas mis en ligne. Qu’est-ce que cela veut dire ? Chaque client-internaute sélectionne, consomme et donne un avis. C’est une économie très affective. Qui de nous n’a pas consulté ou laissé un avis, cela est même devenu un automatisme pour certains avant de rentrer dans un restaurant. On compte 90 avis postés chaque minute. Ce savoir-être qui profite aux annonceurs est devenu le quotidien d’un mode de consommation dit « maîtrisé », par son absence de risque où la valeur est complètement subjective.

Sandrine Amar-Daubrée

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