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L’Homme qui tua Don Quichotte. Faut-il croire le réel ?

Par Balndorn

L’Homme qui tua Don Quichotte. Faut-il croire le réel ?
Résumé : Toby, un jeune réalisateur de pub cynique et désabusé, se retrouve pris au piège des folles illusions d’un vieux cordonnier espagnol convaincu d’être Don Quichotte. Embarqué dans une folle aventure de plus en plus surréaliste, Toby se retrouve confronté aux conséquences tragiques d’un film qu’il a réalisé au temps de sa jeunesse idéaliste: ce film d’étudiant adapté de Cervantès a changé pour toujours les rêves et les espoirs de tout un petit village espagnol. Toby saura-t-il se racheter et retrouver un peu d’humanité? Don Quichotte survivra-t-il à sa folie? Ou l’amour triomphera-t-il de tout ? 

Hormis une date de sortie très proche (le 19 mai pour le premier, le 23 pour le second), que partagent L’Homme qui tua Don Quichotte et Solo : A Star Wars Story ? Pas grand-chose, me direz-vous. Sinon qu’ils témoignent chacun à leur manière d’une voie qu’empruntent actuellement les studios hollywoodiens.
Don Quichotte à Hollywood
En dépit des vingt-cinq ans de labeur de Terry Gilliam pour en venir à bout, L’Homme qui tua Don Quichotte est une œuvre résolument inscrite dans le contexte de production cinématographique des années 2010. Mieux : elle en thématise la panne d’inspiration.Toby (Adam Driver), cinéaste qualifié de « visionnaire » par ses collègues, revient au cours du tournage d’un Don Quichotte à grands renforts de budget et d’effets spéciaux sur les lieux d’une première version du même sujet qu’il avait réalisée durant ses études. À la différence de la pompeuse nouvelle version, la précédente s’appuyait sur des acteurs non-professionnels, dont elle saisissait la spontanéité du geste, quitte à enregistrer des scènes qui n’avaient rien à voir avec le scénario mais dont l’expressivité captivait le jeune réalisateur.Le regard triste et désabusé du Toby des années 2010 contient la situation actuelle à Hollywood. Dorénavant tournés vers un passé largement mythifié, les gros studios n’osent plus raconter de simples et naïves histoires. Il faut toujours qu’elles soient méta. Soit qu’elles s’inscrivent dans un univers narratif complexe, à l’image du Marvel Cinematic Universe, dont Avengers : Infinity War constitue la quintessence ; soit qu’elles revisitent l’âge d’or des studios, comme l’a fait La Forme de l’eau ; soit, et c’est le cas de L’Homme qui tua Don Quichotte, qu’elles mettent en abyme la figure et le rôle du réalisateur.
Pièges du méta
Terry Gilliam se décompose en au moins deux personnages : Toby, dans sa bagarre continuelle avec le Boss (Stellan Skarsgård) ; et Don Quichotte (Jonathan Pryce), dont la douce folie accouche de somptueuses images. Si le dispositif met en lumière le contexte cinématographique contemporain, il alourdit en revanche considérablement la narration. Or, celle-ci, dans sa version romanesque, était des plus simples : c’est l’histoire d’un gars qui croit aux histoires. En version méta-Terry Gilliam, cela donne : c’est l’histoire d’un gars qui ne croit plus aux histoires qui, cherchant de nouvelles histoires pour enrichir les siennes, retrouve un vieux auquel il avait confié par le passé le rôle principal d’une histoire qui a fini par tellement croire aux histoires qu’il en oublie la sienne propre et embringue le jeunot dans sa quête d’histoires. À peu près.Ce qui débouche, on s’en doute, sur un scénario alambiqué, qui manque de rythme par endroits, s’embourbe dans des chemins inutiles et s’empêtre dans son propre entrelacs narratif. De-ci de-là émergent de réelles séquences narratives, qui fonctionnent précisément parce qu’elles s’autonomisent vis-à-vis du récit principal : la bataille dans un château maure, le bal masqué final… Ces dernières séquences se distinguent parce que, l’espace d’un instant, elles croienten ce qu’elles montrent, alors que la mise en scène et le décor en révèlent la fausseté ; mais qu’importe, à l’instar de Don Quichotte, Gilliam retrouve dans ces moments-là le pur plaisir de l’aventure.
Éloge de la naïveté
C’est là qu’intervient Solo. Le dernier-né de la saga Star Wars à la sauce Disney s’est fait taper sur les doigts par la critique parce qu’on le jugeait trop naïf. Or, sans naïveté, pas de récit d’aventures. Car c’est la naïveté, cette faculté de croire les apparences en dépit de tout, qui préside au genre : sans elle, sans foi dans le réel en tant qu’immanence même, on ne montre rien. Solo a beau être mièvre, stupide ou cliché, il n’empêche : sa naïveté propose un nouvel univers en-dehors de l’héritage de Lucas.À l’inverse, Terry Gilliam cultive un rapport ambivalent au réel. Il n’a pas comme Solo cette pure adhésion aux apparences. D’une part, il s’en méfie : grand connaisseur des tromperies (sa filmographie tout entière tourne autour de la question du réel), il ne croit plus ce qu’il voit. Seules les machines et autres inventions (L’Armée des Douze Singes, L’Imaginarium du Docteur Parnassus, Les Frères Grimm…) peuvent percer à jour le voile des apparences. D’autre part, tel Toby, il regrette l’âge où il croyait fermement au réel. Don Quichotte est plus qu’une projection de l’auteur en son œuvre : il en est l’avatar idéal, la créature qui rêve encore.Entre scepticisme envers le réel et imploration de son amour, le film ne parvient pas à trancher. Libéré des entraves du méta, il aurait pourtant amplement dépassé Solo. Car il manque à Disney ce dont regorge Gilliam : un imaginaire visuel. Et c’est seulement lorsqu’à la fin du film, le cinéaste et ses personnages retrouvent foi dans le réel et vont de nouveau de l’avant que L’Homme qui tua Don Quichotte atteint sa plénitude. Alors se découvrent, dans un splendide chatoiement de couleurs baroques, des plans d’une rare beauté, où le soleil, le feu et la terre, enfin débarrassés des oripeaux de la post-modernité, s’unissent passionnément.  
L’Homme qui tua Don Quichotte. Faut-il croire le réel ?
L’Homme qui tua Don Quichotte, Terry Gilliam, 2018, 2h12
Maxime
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