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Silvia Baron Supervielle : la présence absentée

Publié le 20 juin 2018 par Les Lettres Françaises

Silvia Baron Supervielle : la présence absentéeDepuis ses premiers poèmes publiés par Maurice Nadeau en 1970 dans Les lettres Nouvelles, depuis La Distance de sable, paru en 1983 aux éditions Granit et ses Lectures du vent, éditées quelques années plus tard chez José Corti, Silvia Baron Supervielle n’a cessé d’écrire : des ouvrages poétiques, des romans, des essais en français. On se souvient de La Ligne et l’ombre, de La Rive orientale, du Journal d’une saison sans mémoire, de L’Alphabet du feu, de La Douceur du miel, de Lettres à des photographies

Elle a également merveilleusement traduit dans notre langue de nombreux auteurs argentins comme Jose Luis Borges, Julio Cortazar, Macedonio Fernández, Alejandra Pizarnik, Silvina O Campo et quelques autres, et proposé en espagnol son édition de la poésie et du théâtre de Marguerite Yourcenar.

Silvia Baron Supervielle ne cesse d’écrire et de faire sienne cette langue française, connue depuis l’enfance. Ce bel héritage maternel, devenu son premier chant, notre chant. D’une terre l’autre, d’une rive à l’autre, Silvia continue d’ouvrir à la mer son espace imaginaire et d’offrir au vent ses images en allées, ses illuminations neuves et belles. L’écriture reste son véritable pays. Elle est sa geste, son fleuve, son horizon, sa destination. Elle y puise toutes ses forces vives, sans cesse renouvelées, nouvellement approchées. Une fois encore le miracle opère, envoutant, magnifique. Puissamment intime, l’écrit une nouvelle fois s’élève, « comme une pluie de lumière fulgurante à [notre] horizon ».

Un autre loin, publié en février dernier chez Gallimard, est certainement son ouvrage le plus beau et le plus émouvant. Parce qu’elle y parle d’un autre seuil, d’un autre vide, d’un autre verbe, d’un autre loin. Parce qu’elle y dit la présence absentée de l’être aimé, la parole de l’autre qui à la fois « résiste et se dérobe ». Ce verbe vrai et vif qui tout à coup s’éloigne dans l’oubli de sa soudaine transparence, comme empêché, effacé et finalement vacant.

Sur la table où le papier s’offre à la plume, au soir si près de la fenêtre, approche un nouveau chant, entraîne la poétesse vers un nouvel horizon des mots. Comme si la bise et la brise et le ciel, et les reflets du fleuve et de l’eau s’imprégnaient soudain d’une nouvelle distance où l’entrée, où l’orée ne serait plus fixée, où soudain « rien ne [ferait plus] halte ». Comme si la mémoire s´était brusquement perdue, et « que les pas [retombaient] et se [dressaient] à moitié ». Comme si le passé ne scintillant plus qu’en masque, effaçait de sa flamme « le souvenir d’attendre » et rapprochaient enfin le soleil et sa nuit. Comme si la brume chancelante n’offrait finalement qu’un temps défini « envolé dans les cendres des heures / sans destin ni patrie ». Comme si cet exil ultime, n’était autre que celui de la vie.

« Je suis arrivé loin et je me trouve près / de ton visage ignoré changeant / et j’ai peur de te perdre encore une fois / avec ma peur ma mort ma parole / la frontière où je suis », écrit Silvia Baron Supervielle.

Quand l’obscurité tremble, il reste la voix embarquée sur une onde nouvelle. Il reste la main dans la main, l’ivresse d’une caresse défunte. Il reste le regard en fuite dans l’abîme de soi, le regard dans les yeux, et les yeux dans le ciel à force de regarder. Le miroir est le bleu d’une plainte descendant vers la mer et qui ne se dit pas. Un lieu de vaste plaine, « entre les bras et les pas », qui est de départ et aussi d’arrivée. Car il n’est de chemin qui ne conduise à ce qui s’en va, à l’éclosion sereine.

Quand les monts et « les vallées sont en déroute », la « main qui dans la main s’achève », a le souffle de « l’amour ouvert » : « Alors qu’une vie s’empare de moi, écrit Silvia Baron Supervielle, lorsqu’un arbre se profile / quand je commence à te penser / on ne pourra pas se voir / avant que ne meure l’obscurité / et j’ai peur de te perdre dans les ténèbres / de te tuer avec ma mort ma peur ma parole / l’abandon au passé où je suis / et tu manques ».

Marc Sagaert

Un autre loin, de Silvia Baron Supervielle
Gallimard, 2018. 112 pages ,12 €

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