Il faut croire que Rassie Erasmus a le sens du timing. Remettre sur pied le rugby sud-africain, à un an d’une coupe du Monde où les Boks joueront la Nouvelle-Zélande et l’Italie dès les poules, en voilà une bonne idée ! Le rugby sud-africain était sur le déclin depuis la génération 2009 des De Villiers, Matfield et Botha, il se pourrait que la courbe des victoires change de sens et que les Springboks se remettent à gagner de nouveau des matchs contre les grosses équipes du Tier 1. A l’inverse d’une France toujours aussi ennuyeuse et faible techniquement, les Boks esquissent maintenant une vraie identité de jeu, des joueurs cadres et un mental d’acier.
Joueurs en forme, vieux briscards et espoirs : un mix gagnant
Prendre le chevet des Boks en 2018 et composer une équipe compétitive n’avait rien d’évident. Après la double saison noire (2016, 2017), les certitudes étaient faibles et les doutes grands. A commencer par le choix des hommes. D’autant que si le réservoir sud-africain est large, il existe peu de confiance dans les jeunes pousses du rugby saffie. Rassie Erasmus l’a joué prudente et intelligente, accouchant d’un XV de départ (quasiment inchangé entre les deux tests) diversifié et réaliste. On y retrouve des valeurs sûres du rugby sud-africain (Kolisi, De Allende, Le Roux, Vermeulen, Pollard, Mtawira, Nyakane, Kriel) sur lesquels il appuiera son jeu, leaders de terrain mais aussi de vestiaire. Ça a obligé le sélectionneur à puiser dans des clubs européens mais il semblait compliqué de faire autrement et de toute façon le rugby sud-af n’a plus honte de le faire. A côté de ça, Erasmus a sélectionné quelques hommes en forme, privilégiant donc la performance sur le moment (les frères Du Preez, Am, Snyman, Mostert, Esterhuizen, Ralepelle). Pour autant, les Springboks ne sont toujours pas une réplique des Lions, ils n’étaient que 5 seulement de la franchise de Jo’burg à être dans le squad, ce qui en fait le plus petit nombre parmi les 4 équipes encore présentes en Super 15. Il faut dire aussi que les jeunes du squad (moins de 23 ans ici) font largement partis des Bulls (Gelant, Van Zyl, Jenkins, Papier) ou des Sharks (les frères Du Preez, Am, Nkosi) plus que des Lions (le cas de Dyanti est le seul). Avec 17 joueurs non capés sur le squad élargi des 43, on voit bien pour autant la volonté d’Erasmus de secouer le rugby sud-af. Un XV de départ réaliste donc mais un squad élargi qui fait bouger les lignes, de quoi promettre des semaines d’entraînements intéressantes. Mélangez ces pépites, les joueurs expérimentés et les quelques cadres de générations éloignées et vous obtenez un mix audacieux, séduisant sur le papier, ayant en partie tenu promesse. Le challenge pour Erasmus sera de progressivement intégrer ces nouveaux joueurs au fur et à mesure.
La fin du défense-occupation-pied ?
Avant, le tableau était simple chez nos amis Saffies : une défense intraitable, une occupation asphyxiante, un gros pied et come on boys ! Une recette, pas loin de celle de l’Angleterre en 2003, qui a fait ses preuves de nombreuses années sous la génération Nick Mallett (1997-2000), quand l’Afrique du Sud dominait toute la planète rugby (17 victoires de rang, record de l’époque). La génération de 2007-2009 (1 coupe du Monde, 1 Tri-Nations) en portait encore la trace, derrière un paquet d’avant redoutable et un Morne Steyn autrement occupé que de servir de remplaçant à Jules Plisson. Mais le récent déclin du rugby sud-africain va de pair avec l’évolution du rugby professionnel, toujours plus poussé vers l’attaque et la prise de risque, la coupe du monde 2015 ayant définitivement engrangé le pas. Résultat de fil en aiguille, le rugby sud-africain s’est retrouvé à la traîne du Tier 1, derrière All Blacks et Wallabies sur les derniers Rugby Championships. Alors si les Boks version Erasmus ne sont pas encore les Hurricanes ou les Chiefs niveau jeu, le nouveau staff a largement modifié l’ADN du rugby saffie, pour son plus grand bien.
Mallett et Meyer, coach et adjoint des Boks avant le bug de l’an 2000.
Lors des deux tests-matchs contre les Anglais, les Boks ont revisité leur rugby de possession avec du dynamisme à tous les étages. Un n°9 vif en la personne de De Klerk, un Pollard à l’ancienne qui alterne bien, un pack très mobile (Snyman, Vermeulen, Kolisi notamment) et des flèches sur les ailes (Dyanti, Nkosi) et bim que ça franchit de partout ! Plus besoin de 15 temps de jeu pour marquer, le jeu est dynamique, ça va vite et c’est propre techniquement avec De Klerk-Pollard-Le Roux à la baguette. Une action type de ces Boks ? La charnière alterne avants-3/4 avec des soutiens dispersés partout sur le terrain, De Allende fixe souvent au milieu de terrain et Le Roux cadre pour ses ailiers dans la profondeur. Ça reste assez classique comme schéma, presque stéréotypé, mais quand c’est bien fait, c’est efficace et ça a de quoi transformer un simple rugby de percussion en un jeu dynamique. Résultat les Boks auront largement franchi la défense anglaise, notamment lors du premier test et ont obtenu d’innombrables pénalités grâce à une technique d’avants irréprochable. Presque une nouveauté pour le rugby sud-af, on aura vu de nombreuses attaques petit périmètre, notamment dans le couloir des 15m. Technique kiwi par définition, il s’agit ici d’utiliser la vitesse de De Klerk, Dyanti, Nkosi et la capacité à fixer de Vermeulen, De Allende ou Le Roux. C’est ce que nous montre ce GIF ci-dessous du journaliste britannique Charlie Felix.
Couple of cool things from South Africa’s attack yesterday. 1. How to create a blindside for Faf de Klerk to rip into without even setting up a breakdown. pic.twitter.com/ideyzjBgNd
— Charlie Morgan (@CharlieFelix) 10 juin 2018
A l’aile la vie est belle donc ! On aura retrouvé sur ces deux matchs la finesse d’un Willie Le Roux, bien placé, juste techniquement, en back-up d’un Pollard plus gestionnaire. Le choix du jeu est bon, le choix des hommes parfait. Reste que le rugby sud-africain continue à être le même malgré tout : on ne ment pas sur son identité. Les Boks sont restés très rugueux au contact, dans les rucks, en défense et ont passé leur temps à gagner des duels face à des Anglais fatigués. L’identité du jeu Sud Af peut évoluer, reste que la touche, les mauls, la mêlée sont toujours des points de domination, pas uniquement de simples remises en jeu. Ce sont des occasions d’essais en elles-mêmes (un essai à la suite d’un maul dominant pendant le premier test, un essai de pénalité à la suite d’une mêlée lors du second). L’alchimie entre le jeu historique des Springboks et un rugby plus dynamique s’opère donc assez facilement, suffisamment pour battre des Anglais de ce niveau. Tant qu’ils joueront des équipes ne mettant pas 75% du temps la main sur le ballon ou défendant très bien, la bande à Kolisi devrait continuer à dominer ses adversaires.
Un mental d’acier ou comment fonder une équipe de winners
Gagner certes mais gagner de cette manière, c’est déjà autre chose ! On connaît toute l’importance en sélection nationale d’avoir des « victoires références ». Erasmus en a besoin, histoire de continuer sur sa lancée ou au contraire de revoir ses plans de jeu et ses choix de joueurs. Ici, cette série gagnée contre une Angleterre qui reste largement compétitive, va clairement servir de socle pour des choses plus sérieuses à venir : le Rugby Championship demain et la coupe du Monde le surlendemain. On sait aussi combien il est important de créer une osmose au sein d’un collectif : le rugby international c’est aussi savoir « gérer » les matchs, être psychologiquement fort et ce pour les 15 acteurs sur le terrain, si ce n’est les 23 sur la feuille de match. En revenant au premier match d’un 24-3 pour les Anglais et en infligeant un 23-0 au second test, on peut dire que ces Boks ont tout de suite mis les pieds dans le plat en termes de maîtrise du tableau d’affichage ! Deux scénarii de la sorte, répétés d’un weekend à l’autre, relève quasiment de l’ordre du jamais vu. Un mental d’acier pour des hommes ne se connaissant pas tant que ça et pour un staff débutant. Il semble donc que les logiques du vestiaire et les belles promesses se vérifient sur le terrain. Que la confiance règne au bout de 3 matchs seulement préfigure de bonnes choses pour Erasmus et ses joueurs.
Des victoires références, il en faut aussi pour conforter les choix des hommes car comme dit le proverbe « on ne change pas une équipe qui gagne ». Erasmus a déjà son capitaine en la personne de Siya Kolisi. Irréprochable sur terrain, régulier dans ses performances il est à 27 ans dans la forme de sa vie. Capitaine courage mais capitaine symbole aussi, c’est le premier Noir à être capitaine de la sélection nationale. De quoi engager le métissage progressif du rugby sud-africain et d’atteindre le 50% de joueurs d’origine noire exigé par la SARU pour la coupe du Monde. Outre Kolisi, le fameux axe 2-5-8-9-10-12-15 est tracé avec Marx (quand il reviendra de blessure), Snyman (ou Etzebeth), Vermeulen, De Klerk, Pollard, De Allende, Le Roux. Des joueurs d’expérience sur lesquels s’appuiera le staff, pouvant se décliner en petites variantes, notamment en seconde ligne.
Rassie Erasmus.
Comment être meilleurs et bientôt battre les Blacks ?
Les Springboks vont jouer 4 fois les All Blacks en un an, soit autant de chances d’élever leur niveau de jeu et de montrer ce qu’ils valent réellement. Ce sont aussi autant de chances de se faire écraser, après le 57-0 infligé l’an dernier par la Nouvelle-Zélande, record du plus grand écart entre les deux équipes. Plusieurs chantiers existent à commencer par la défense au large. Si les Boks nous habituent toujours à être quasi irréprochables aux abords des rucks ou même au milieu de terrain avec une troisième ligne exigeante au possible, ce n’est pas la même histoire sur les extérieurs. Les Anglais auront transpercé à de multiples reprises le rideau sud-africain, 5 essais venant de situations de jeu sur les extérieurs après plusieurs phases de jeu, avec des Brown, Daily, May à la manœuvre si ce n’est à la finition. Une grande naïveté en défense avec Am, Dyanti ou Nkosi absolument débordés sur certaines séquences de jeu. La prise de profondeur des Anglais sur les passes de Ford ou Farrell ont fait mal, trompant souvent leurs vis-à-vis. De quoi rappeler les errements défensifs de Rhule contre Ioane lors du fameux 57-0… Si l’Afrique du Sud ne corrige pas le tir – ce sont des fautes de débutants à ce niveau – l’histoire se répétera. Le staff le sait, il y a beaucoup de travail là-dessus. La bonne défense de Jesse Kriel en outside centre pourrait être appréciée, d’autant plus qu’Am n’a pas transpercé l’écran.
Aussi, le poste de n°13 pose problème en attaque. Il a manqué en effet un « centre passeur » à la Conrad Smith, régulant les vagues d’attaques et proposant souvent des décalages. Am l’a fait en partie mais sans doute pas suffisamment. On pense alors au profil de Lionel Mapoe, non retenu dans le squad. Kriel n’évolue pas tout à fait dans ce registre, mais il peut être intéressant s’il est bien utilisé. Avec ça, les Boks pourraient libérer encore plus d’espace pour les ailes. Aussi, les Boks ont parfois rendu trop de ballons aux Anglais, dans le jeu ou au pied. Des imprécisions techniques, des mauvais choix, que l’on mettra ici plus sur le dos de l’apprentissage que de la faute de goût pour l’équipe d’Erasmus.