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Le mythe de la chute constantinienne de l’Église

Par Monarchomaque
Le mythe de la chute constantinienne de l’Église

Monument de Constantin le Grand (272-337) à York où il fut proclamé Empereur romain en 306

Extraits traduits de Bryan Litfin, Getting to Know the Church Fathers : An Evangelical Introduction, Brazos Press, Grand Rapids, 2007, 301 p.

« [C’est une idée fausse] que les Pères de l’Église représentent la “chute” du christianisme. S’il était vrai qu’une apostasie dévastatrice et irréversible avait surgie sous l’Empereur Constantin, alors nous n’enseignerions pas, aujourd’hui, l’héritage patristique de Chalcédoine comme étant la christologie orthodoxe. […] Aussitôt que la menace de la persécution cessa avec l’Empereur Constantin, la nouvelle menace de l’hérésie théologique surgit. Mais l’Église n’est pas pour autant “tombée” pendant ces jours tumultueux, du moins pas plus qu’elle n’est tombée dans notre propre temps. Elle s’adapta simplement à des réalités [jusque-là] inhabituelles avec une détermination renouvelée. »
— Bryan Litfin, p. 256-257.

« Selon l’interprétation historique [aujourd’hui] acceptée par beaucoup d’évangéliques, l’approbation impériale du christianisme fut accompagnée par sa corruption. Les masses rivalisèrent à rejoindre la religion de l’Empereur (qu’il n’embrassa, dit-on, seulement pour des raisons politiques). […] La conversion de Constantin serait conséquemment un désastre non-mitigé. L’Église aurait chutée. [Mais en réalité,] si vous viviez au temps de Constantin, vous auriez probablement considéré que le christianisme progressait et non qu’il régressait, car les autorités ne planifiaient plus de vous arracher les yeux parce que vous êtes chrétien ! »
— Bryan Litfin, p. 25-26.

« Nous ne devons pas penser que cette ère [de Constantin Ier] fut la “chute de l’Église”. Sans aucun doute, les chrétiens faisaient face à de nouveaux défis maintenant que leur foi était favorisée par l’Empereur. L’argent et le pouvoir étaient accessibles tel qu’ils ne l’avaient pas été auparavant. Pourtant, cela ne signifie pas nécessairement que l’Église est tombée loin de la vérité. C’est l’inverse, le christianisme a fait ce qu’il a toujours fait : il appris à s’exprimer dans un cadre culturel nouveau tout en cherchant à amener la culture sous la seigneurie de Jésus-Christ. Nous pouvons voir le processus de christianisation reflété par les valeurs bibliques qui furent insufflées dans le droit. Par exemple, Constantin promulgua de la législation freinant le trafic des enfants, l’enlèvement des filles et le divorce. Similairement, il décréta que les esclaves ne devaient pas être brûlés [au fer rouge] dans le visage pour marquer leur possession, puisque “l’homme est fait à l’image de Dieu”. Il fit même du dimanche un jour de repos. Nous pouvons aussi voir la christianisation de la culture en ce que la théologie pénétrait tous les niveaux de la société au IVe siècle. Les arguments théologiques étaient partout. […] En d’autres mots, toutes les personnes – de l’Empereur jusqu’à l’homme ordinaire – débattaient les doctrines chrétiennes. »
— Bryan Litfin, p. 171-172.

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Extraits sélectionnés de Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Éditions Albin Michel, Paris, 2007, 278 p.

LES MOTIFS DE LA CONVERSION DE CONSTANTIN IER

« Quel homme fut donc Constantin ? Un militaire et un politique [sic : un politicien] brutal et efficace qui ne se fit chrétien que par calcul ? […] On l’a souvent affirmé, par esprit de parti ou par refus de l’hagiographie. Mais on voit mal ce que sa conversion pouvait lui rapporter politiquement. Ce cerveau politique ne recherchais pas l’approbation et l’appui d’une minorité chrétienne dépourvue d’influence, sans importance politique et majoritairement détestée. »
— Paul Veyne, p. 79.

« Non, Constantin ne s’est pas adressé au Dieu chrétien par superstition, parce qu’il se serait imaginé, on ne sait pourquoi, que mieux que d’autres dieux, celui des chrétiens lui donnerait la victoire. Non, le chrisme [☧] peint sur les boucliers de ses soldats n’était pas un signe magique, comme on l’a parfois dit, mais une profession de foi : la victoire de Constantin serait celle du vrai Dieu. Non, il n’a pas cru non plus qu’en promettant la victoire en échange, il n’a fait appel au Christ à la façon d’un païen passant un contrat de vœu avec quelque dieu, ni des prêtres impériaux adressant au nom de l’État des vœux en faveur de l’Empereur. Constantin s’est converti parce qu’il a cru en Dieu et en la Rédemption ; tel fut son point de départ, et cette foi impliquait à ses yeux que la Providence préparait l’humanité à la voie du salut. »
— Paul Veyne, p. 84.

« [L]es victoires [militaires de Constantin Ier en] 312-324 font partie de l’éternel Décret divin. Lors de l’ouverture du Concile de Nicée, l’Empereur se tint d’abord modestement devant la porte encore close de l’église où allait se réunir le concile et il pria les évêques de bien vouloir l’admettre dans leurs débats christologiques. [Constantin Ier déclara ceci dans son allocution :] “Alors que au long de toutes les années, de toutes les journées passées, des masses innombrables de peuples avaient été réduites en esclavage, Dieu les a libérés de ce fardeau par moi, son serviteur, et les mènera à l’éclat complet de la lumière éternelle”. »
— Paul Veyne, p. 85-86.

« [E]n 325, Constantin estimait avoir changé le sort de l’humanité. Tous les textes issus de la plume impériale montrent un Constantin assuré de son élection personnelle. […] L’intervention de la Providence à son secours est si évidente que les Barbares se convertissent à leur tour à la crainte de Dieu. […] S’étant fait le premier prédicateur de son Empire, il réunissait chaque semaine ses courtisans en son palais et “il leur expliquait systématiquement la Providence, tant en général que dans des cas particuliers”. »
— Paul Veyne, p. 88-89.

« Constantin a dû se dire que, pour s’être pareillement implanté malgré tant d’opposition, le christianisme devait avoir quelque chose de plus que les vieux cultes. […] Constantin a une foi épaisse, mais bonne, et une chose le prouve : il n’avait aucun besoin de l’Église pour ses conquêtes et il aurait pu réunifier l’Empire sans se faire chrétien. […] Cherchait-il du moins à allier le trône et l’autel ? Constantin n’a pas mis l’autel au service du trône, mais son trône au service de l’autel ; il a considéré les affaires et les progrès de l’Église comme une mission essentielle de l’État. »
— Paul Veyne, p. 105 et 107.

« Les successeurs chrétiens de Constantin affecteront de respecter un équilibre entre christianisme et paganisme. Trente ans après la mort de Constantin, l’Empereur Valentinien, au début de son règne, accorda solennellement “à chacun de pratiquer le culte dont il est pénétré” ; on pouvait toujours être païen, le dire, parler de ses dieux […]. Les empereurs ne défavoriserons pas systématiquement les fonctionnaires et militaires païens dans leur carrière, tout en leur préférant des fonctionnaires chrétiens ; en 416 seulement il sera interdit aux païens de revêtir des fonctions publiques. »
— Paul Veyne, p. 157-158.

LE PRÉTENDU SYNCRÉTISME DE CONSTANTIN IER

« Il faudrait ne l’avoir pas lu [Constantin Ier] pour voir en lui un “syncrétiste” qui mêlait le Christ avec Apollon ou le Soleil, dont il ne prononce jamais le nom, sauf pour dire que le soleil, la lune, les astres et les éléments sont gouvernés par le Dieu Tout-Puissant. Confessionnels ou incroyants, les historiens sont aujourd’hui d’accord pour voir en Constantin un croyant sincère. »
— Paul Veyne, p. 80-81.

« On a supposé que c’était un syncrétiste à l’esprit confus […] qui confondait le Christ et le Soleil Invincible, dieu impérial, dit-on. En réalité, cette confusion, ce “syncrétisme” prétendus viennent d’une fausse interprétation du monnayage impérial. […] Constantin a beaucoup écrit et les textes issus de sa main, ses lois, ses sermons, ses édits, ses lettres avec leurs aveux personnels […] témoignent à chaque ligne du plus orthodoxe des christianismes : Dieu, le Christ, l’Incarnation. »
— Paul Veyne, p. 80.

« Dès sa conversion, Constantin est devenu entièrement et purement chrétien [ce point est discutable, mais poursuivons] ; il ne faut pas penser que sa foi était pleine de confusion et de syncrétisme et qu’il distinguait mal le Christ du dieu solaire. Ce qui l’a fait supposer est son monnayage, en croyant y voir l’expression directe de la pensée de l’Empereur. Mais le monnayage impérial romain, puis byzantin […] était une institution publique, ni plus ni moins que nos timbres-poste, et non l’expression de la vie intérieure du prince. En un mot, différents dieux païens, dont le Soleil, figurent sur ce monnayage parce que la façade de l’Empire de Constantin restait officiellement païenne, et non parce que Constantin mélangeait plusieurs dieux dans sa cervelle confuse. Les revers [monétaires] constantiniens font ce que faisaient les revers depuis trois siècles : ils montrent de nobles allégories publiques, la Providence, la Concorde, le Bonheur public, des victoires, des armées et leurs enseignes, des empereurs en tenue militaire et quelques dieux païens, dont le Soleil ; mais aussi le chrisme [☧] répète-t-on. Mais le Soleil n’était pas sur le même plan que le chrisme dans le monnayage constantinien : le Soleil figure comme personne a part entière, tandis que le chrisme n’est qu’un symbole qui est tracé sur le casque porté par l’Empereur ou sur l’étendard ou labarum qu’il tient à la main, et c’est l’Empereur lui-même, en habit militaire, qui figure sur ce revers. […] Enfin, si le Soleil, à côté d’autres divinités païennes, figure sur ces quelques revers, c’était moins par piété solaire que parce que l’image du Sol Invictus était pour Constantin un blason familial, une preuve de légitimité : Constantin prétendait par son père descendre de [l’Empereur romain] Claude II [dit le Gothique (219-270)], or le Soleil invincible avait été l’archétype céleste des glorieux empereurs illyriens qui avait sauvé l’Empire un demi-siècle auparavant. Prendre pour blason le Soleil était mettre cette légitimité héréditaire illyrienne à la place de la légitimité institutionnelle des Tétrarques, avec leur Jupiter et leur Hercule, légitimité dont Constantin pouvait difficilement se réclamer. »
— Paul Veyne, p. 277-278.

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SOMMAIRE DE LA LÉGISLATION CONSTANTINIENNE

— Promulgation d’un justinium (jour de repos public) perpétuel chaque dies solis (dimanche) ;
— Protection des pauvres contre la surtaxation par les riches et les puissants ;
— Réforme du système judiciaire ultra-corrompu (illégalisation du soudoiement, de la surtarification et du blocage indu des recours) ;
— Découragement de l’infanticide (pré-naissance & post-naissance)… l’infanticide sera complètement criminalisé plus tard en 374 ;
— Criminalisation du viol (agression sexuelle)… Constantin le Grand fut le premier Empereur romain à légiférer en ce sens !

— Fermeture des sanctuaires païens en Judée et dissolution des prêtrises homosexuelles en Égypte ;
— Proscription de la promotion du gnosticisme et du manichéisme ;
— Maintient de l’illégalité antérieure de la divination privée (occultisme) ;
— Interdiction pour les haut-fonctionnaires de participer à des sacrifices païens dans le cadre de leurs fonctions officielles ;
— Prohibition de la circoncision des esclaves non-juifs des juifs par ces derniers ;
— Extension de la liberté de tester (faculté de léguer ses biens en héritage par testament) en droit successoral.

Références : La monographie de Paul Veyne citée précédemment et l’ouvrage Defending Constantine : The Twilight of an Empire and the Dawn of Christendom de Peter Leithart.

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Ressources supplémentaires (hors-site) sur l’Empereur romain Constantin le Grand et le mythe de la chute constantinienne de l’Église en Antiquité tardive :

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