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Philosophie de l'impôt, de Phlippe Nemo

Publié le 22 juin 2018 par Francisrichard @francisrichard
Philosophie de l'impôt, de Phlippe Nemo

Deux conceptions philosophiques des rapports entre l'homme et l'État s'opposent et se traduisent par deux conceptions philosophiques de l'impôt:

- soit on considère que l'État est un instrument que se donne la société civile et qui doit rester à son service et que, pour le financer, il faut en répartir le coût;

- soit on considère que le citoyen doit subordonner ses intérêts à ceux de la collectivité et que, pour la financer, c'est à elle, c'est-à-dire à l'État, que revient de fixer la quote-part de chacun.

La première conception correspond à la justice commutative : chacun reçoit (à peu près) l'équivalent de ce qu'il donne.

La deuxième conception prétend correspondre à la justice distributive: mais une société moderne ne peut être considérée comme une communauté unique où le concept de justice distributive pourrait s'appliquer.

La première conception est une conception libérale, humaniste, qui suppose le consentement à l'impôt, la deuxième une conception socialiste, collectiviste, où l'argent de l'État est obtenu par la violence.

La conception libérale n'aura été qu'une parenthèse entre l'Ancien Régime et l'État-providence. Philippe Nemo cite Peter Sloterdijk:

L'État paternaliste de jadis et l'État maternaliste actuel s'accordent parfaitement et se complètent pour former une irrésistible machine de tutelle et d'assistance.

Ce qui frappe c'est l'ampleur prise par l'État maternaliste, qui revient, selon Sloterdijk, à une exploitation des "bourgeois" (mais pas seulement, précise Nemo) par le fisc et par les catégories sociales qui bénéficient de l'argent public: en quelques décennies la part de l'État est même passée en France de 10 à 50% du PIB.

Philippe Nemo remarque: Comme l'être de chacun est plus ou moins lié à son avoir, le fait de prendre aux citoyens la moitié de ce qu'ils ont revient à anéantir la moitié de ce qu'ils sont. Autrement dit, cela revient à les amputer...

Cette ampleur n'aurait pas été possible sans la prévalence d'une conception illégitime de l'intérêt général.

S'il peut être légitime que l'État soit chargé d'assurer l'ordre public et de fournir les biens et services qui ne peuvent être offerts spontanément par le marché, puisqu'il y a échange  dans les deux cas (échange à financer par un impôt-échange), ce ne l'est pas qu'il soit chargé de réduire les inégalités sociales.

A conceptions de l'intérêt général différentes correspondent des impôts différents:

- assurer l'ordre public peut être financé par un impôt per capita;

- fournir des biens et services qui ne peuvent être offerts spontanément par le marché (même s'il me paraît difficile de toujours bien les identifier) peut être financé par un impôt proportionnel;

- réduire les inégalités sociales ne peut être financé que par un impôt sans limite, parce qu'il s'agit d'un impôt sans contrepartie (l'impôt progressif en est l'exemple).

Dans les deux premières conceptions, il est possible de quantifier le coût et de le répartir; dans le troisième, le coût est indéfini, donc extensible.

Quoi qu'il en soit, Philippe Nemo a identifié quatre doctrines à l'origine de l'impôt sans contrepartie:

- le marxisme

- l'égalité de sacrifice et l'utilité marginale décroissante du revenu

- le solidarisme

- le kéneysianisme

auxquelles il rajoute une passion: l'envie (qui est l'un des sept péchés capitaux...).

Ces doctrines justifiant l'impôt sans contrepartie conduisent toutes les quatre au socialisme fiscal et Philippe Nemo montre qu'elles sont toutes erronées et n'ont aucun fondement, ni scientifique ni moral. Ce qui ne les a pas empêchées de prospérer sous de fausses raisons, d'attenter aux libertés individuelles et de nuire aux hommes qu'elles prétendent défendre.

Le socialisme fiscal a deux conséquences néfastes:

- il rompt le lien social en induisant une société de défiance:

.  l'État a besoin de connaître tous les avoirs des citoyens pour déterminer la part qui lui revient: c'est à une véritable inquisition à laquelle l'impôt sans contrepartie aboutit du fait qu'il s'agit d'un impôt personnel: il viole sans vergogne la vie privée et les affaires

.  l'État se donne unilatéralement tous les droits puisqu'il n'a pas besoin du consentement des citoyens: il augmente en douce les taux, fait passer des lois rétroactives, impose ses directives et circulaires etc.

. l'État prélève ce qui lui manque, sans se retenir (ça devient pathologique) puisque personne ne peut s'opposer à son absolutisme (il a le monopole de la coercition) et le résultat est que la société en est paralysée et s'appauvrit

. l'État favorise sa clientèle: élus, fonctionnaires, syndicats

- il déshumanise:

. l'État, avec sa main qui prend et son oubli du donneur, mutile ce dernier en le spoliant et mutile le donataire en le rendant inférieur puisqu'il n'y a pas de contrepartie: les deux sont ainsi empêchés d'être ce qu'ils pourraient être

. l'État, en appauvrissant les riches, les empêche d'avoir des activités bénévoles indispensables pour la culture et la société en général

. l'État, en exigeant et obtenant la transparence, tue la vie créatrice, enlaidit les êtres, nourrit l'envie, soumet la personne au groupe

Après avoir exposé le projet de constitution raisonnable proposée par Friedrich Hayek, Philippe rappelle les principes de l'antiquité romaine auxquels elle se conforme et à partir desquels, par une série de perfectionnements théoriques et pratiques apportés par une longue suite de siècles, se sont élaborées les démocraties libérales modernes telles que nous les connaissons:

- la responsabilité morale personnelle

- la distinction entre ce qui relève de la res publica, l'État, et des res privatae, le privé

Il les rappelle parce qu'ils ont été trahis aussi bien par le socialisme que par la social-démocratie modérée, qui ont fait prévaloir une mentalité de type holiste ne laissant plus de place à la personne humaine:

La société est pensée comme transparente et donc entièrement planifiable par l'autorité, dont les individus sont les instruments. En matière fiscale cela se traduit par: rien de ce que j'ai n'est à moi, l'État peut m'en prendre la part qu'il veut, la part même qu'il me laisse est un cadeau qu'il me fait...

Ce paradigme holiste conduit à une vision policière de la société. Il convient de lui opposer une autre vision, personnaliste et humaniste: l'homme est destiné à vivre dans une société où, pour le dire en un mot, la personne humaine est un absolu, dé-lié du groupe. Où elle ne peut donc jamais être considérée simplement comme un moyen, mais toujours en même temps comme une fin...  

La condition sine qua non est que les hommes aient une propriété privée inviolable:

Il n'est de sociétés humanistes que là où la propriété privée est reconnue comme un principe moral absolu. Si ce principe n'est que relatif, s'il n'est pas opposable aux accaparements du groupe et des pouvoirs institués en son sein, la personne humaine n'existe pas et la liberté n'est qu'un mot.

Aujourd'hui les États modernes socialisants ont perdu la mesure. Ils y ont été entraînés par des idéologies qui ont su utiliser ce couple diabolique de passions que sont l'Envie (des masses) et la Cupidité (des bénéficiaires d'argent public)...

Francis Richard

Philosophie de l'impôt, Philippe Nemo, 240 pages, PUF

Livres précédents:

La belle mort de l'athéisme moderne (2012)

Esthétique de la liberté (2014)


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