Le roman de Glorice Weinstein commence la veille de Pessah, la Pâque juive, de l'an 5702 dans le calendrier hébraïque, c'est-à-dire le 1er avril 1942: Pessah célèbre la sortie d'Egypte sous la conduite de Moïse, la fin de l'esclavage des Hébreux sous l'ère pharaonique.
La petite Galia vit en Égypte avec ses parents, qui sont juifs mais n'ont pas l'idée de partir, tandis qu'au Caire les manifestations en faveur de l'Allemagne nazie se multiplient. Pourquoi partiraient-ils ? Ils sont titulaires du seul passeport égyptien: l'Égypte est leur pays; ils n'en ont pas d'autre.
D'ailleurs Benjamin, le père de Galia, juif ashkénaze, qui a épousé Dafna, une belle juive séfarade, est profondément égyptien. En 1921, il a fondé une imprimerie-papeterie, The Star, rue Shérif, au Caire. Dix ans plus tard, lors de l'émeute du 26 janvier 1952, il craindra que les incendiaires anéantissent le travail de toute une vie, voué à sa famille...
Le titre du livre, La Mariée du Nil, provient d'une légende pharaonique selon laquelle chaque année une jeune fille était choisie pour devenir l'épouse du fleuve emblématique du pays et, en offrande, s'y noyait... Désormais, c'est une poupée de sucre qui est jetée dans le Nil et qui perd dans l'eau ses habits de papier:
Toute nue, elle fond progressivement, scellant ainsi son mariage avec le fleuve impétueux.
Cette légende est symbolique de l'Égypte que Galia aime et dans lequel elle se fond, parce que c'est son pays à elle aussi, quoi qu'il arrive. Et toutes les anecdotes que l'auteur raconte sont autant de preuves de cet amour indéfectible.
Cet amour se nourrit de rencontres, d'amitiés, de lieux, d'escapades, de souvenirs d'école, d'histoires familiales jusqu'en... juin 1957. Ce mois-là, fatidique, Galia passe son baccalauréat. Alors qu'elle s'apprête à passer l'épreuve de langue arabe, elle est confrontée à l'antisémitisme de ses examinateurs...
A l'époque ce n'est pas seulement là que l'antisémitisme se manifeste en Égypte, mais c'est un choc pour elle, qu'elle garde douloureusement pour elle. Alors, en novembre 1958, elle décide de partir en exil, en Suisse, d'où elle ne reviendra qu'après l'accord de paix signé, entre l'Égypte et Israël, par le président Sadate, en mars 1979.
Pendant tout ce temps d'exil, Galia ne cessera de rêver de son pays et de l'aimer, un pays où s'entrelacent pour elle les trois cultures, française, arabe et juive, et où égyptiens et juifs, malgré qu'ils en aient parfois, ont tout un passé immémorial en commun...
Francis Richard
La mariée du Nil, Glorice Weinstein, 136 pages, Éditions Encre Fraîche