Les amoureux de la langue française et de ses mots ont pour amis fidèles les dictionnaires, dont les plus connus sont le , le Larousse et le .
Moins connu le Dictionnaire des mots rares et précieux, édité il y a plus de cinquante ans par Seghers, puis réédité il y a quelque vingt ans par, est un petit joyau.
Jean-Louis Garitte, un passionné de Georges Brassens (1921-1981) - qui ne le serait pas s'il aime la langue française ? - a eu l'idée, apparemment saugrenue, apparemment seulement, de faire un dictionnaire des mots et des expressions employés par le poète sétois dans ses chansons:
Près de deux cents chansons ont été prises en compte, y compris celles que le chanteur n'a pas interprétées, comme entre autres celles qui ont été écrites peu avant 1981, ainsi que quelques inédites.Georges Brassens était un grand lecteur de poésie, deux ou trois bouquins par jour quand il était vingtenaire...
Comme chez tous les grands auteurs qui tiennent leur langue - je pense à la langue anglaise de William Shakespeare - il y a chez lui la coexistence d'une langue soutenue, au vocabulaire recherché et aux tours soignés, et d'une langue populaire, volontiers argotique.
Brassens emploie des archaïsmes, parce qu'il aime ça ( Alexandre Soljenitsyne en emploie, dit-on, dans sa langue russe) :
J'ai le goût des choses un peu antiques , disait-il, je ne suis pas le seul, d'ailleurs : il y a bien des gens qui achètent des vieilles lanternes et qui me reprochent de parler le français dans mes chansons.
Brassens emploie aussi un nombre incroyable d' expressions communes ou moins connues [qui] enrichissent considérablement la chanson et soulignent la beauté de la langue française.
Brassens emploie ce que Jean-Louis Garitte appelle des phrases défigées ou remaniées : Il s'agit d'expressions, de locutions, bien connues dans une forme fixe et qui sont ensuite légèrement transformées, réanimées pour trouver une allure originale.
Brassens emploie beaucoup de noms propres qui relèvent souvent la valeur du texte par la référence proposée et fait beaucoup d'allusions à des oeuvres littéraires ou artistiques, ou encore à des faits historiques.
En deux mots, richesse et qualité, se résume la langue de Brassens, qu'il met au service de qualités humaines véritables, les siennes, telles que la défense de la liberté, la modestie, la fidélité en amitié, la sollicitude envers les démunis, l'indépendance d'esprit et le rejet des modes, l'aptitude à l'humour et la grande tolérance, l'attachement au passé et la générosité...
Ce gros dictionnaire est donc lui aussi un joyau, qui peut être non seulement un usuel pour retrouver Brassens disparu, mais un usuel pour retrouver le sens
- d'un mot : Anarchie : sens positif (rare) : Système suivant lequel l'individu doit être émancipé de toute tutelle étatique...
- d'une expression : Ce que c'est que de nous : C'est-à-dire voyez quelle est la chétive condition de l'humanité
- d'une phrase défigée : Il y aura des pleurs et des grincements de dents : Il n'y aura pas de pleurs ni de grincements de fesses : Sur le modèle d' allusion biblique décrivant les malheurs dans les ténèbres, l'enfer . Ici, pas de regrets.
ou l'origine d'une allusion : Mon prince, on a les dames du temps jadis qu'on peut : [...] allusion à la Ballade des dames du temps jadis
Et si, comme Saint Thomas, vous doutez d'une occurrence, l'auteur donne la référence du texte où elle apparaît...
Faites comme moi : mettez en parallèle ce dictionnaire, dont le titre est à la fois une phrase défigée et une allusion littéraire, et les textes imprimés qui chantent d'eux-mêmes:
Je décalque la musique sur le texte, je suis le rythme du vers , confessait le chanteur-poète...
Francis Richard
Brassens - Mais où sont les mots d'antan?, Jean-Louis Garitte, 762 pages, Atlande