Le 28 juillet 1830. La Liberté guidant le peuple, 1831
« Encore Delacroix ? Immortalisé par Baudelaire comme le “phare”du romantisme, célébré par Cézanne ou Picasso, Eugène Delacroix a-t-il encore besoin d’une exposition aujourd’hui, à Paris où l’on cultive sa mémoire plus qu’ailleurs ? Assurément oui », assure catégoriquement le musée du Louvre. On se demande encore pourquoi.
La course aux chefs-d’oeuvres
L’exposition Delacroixqui s’y tient appartient à ce qu’on pourrait appeler les expositions blockbusters. Elles usent des mêmes moyens que les superproductions hollywoodiennes et les concerts des stars : du spectacle partout, une propension au monumental, la multiplication des produits dérivés. Pour les mêmes finalités : ratisser large dans les publics, ne pas exiger de connaissances spécifiques à l’entrée.La première salle place hautla barre. Les plus grandes et les plus célèbres toiles de Delacroix (hormis La Mort de Sardanapale et L’entrée des croisés à Constantinople) pavoisent les murs : Dante et Virgile aux Enfers, La Bataille de Nancy, Scène des massacres de Scioet bien sûr, l’inévitable La Liberté guidant le peuple. Comme si la carrière de Delacroix débutait en un éclair de folie, dans cette confrontation entre le Génie et le Salon conservateur. Comme si Delacroix n’avait pas eu d’enfance – à peine évoquée, et quasiment rien sur sa formation artistique. Seule une vaine « quête de la gloire », selon ses propres termes, semble guider son destin…Et puis on enchaîne au pas de course. Déjà derrière nous la foule se presse pour prendre un selfie devant les chefs-d’œuvre. Alors on passe en trombe devant d’intéressantes gravures de Faustavant d’atterrir en Afrique du Nord, pile face aux très connues Femmes d’Alger dans leur appartementVite vite, on n’a pas le temps. Sur les côtés défilent les croquis et les sanguines que le peintre conservait de son voyage au Maroc. Au détour d’un couloir, on tombe nez-à-nez avec l’imposante Chasse aux lions et les tout aussi monumentaux plafonds peints. Quelques discrètes nature-mortes de bouquets floraux se cachent derrière ces géants.Enfin, la dernière ligne droite. Les tableaux religieux, les marines, les paysages apaisés, jusqu’à l’ultime chef-d’œuvre, le tranquille Ovide chez les Scythes
Quand le romantisme devient académique
En athlétisme, on appelle ce parcours un 200 mètres (avec des haies, s’il faut compter les visiteurs). En scénographie, une course aux chefs-d’œuvre, écueil dans lequel avait déjà échoué Rodin, l’exposition du centenaireau Grand Palais l’an dernier. Concrètement, la muséographie se focalise exclusivement sur les toiles les plus connues – et donc les plus rentables à la boutique – du maître, au détriment des pièces de moindre renommée et de plus petite taille, reléguées dans les recoins et les lieux de transit. Quant aux panneaux d’information, ils se contentent de reprendre le mythe romantique de Delacroix : l’artiste génial défiant les conventions académiques et ouvrant à la peinture moderne un horizon de possibilités. Libérées des formats gigantesques, les dernières salles apportaient un brin de fraîcheur et d’originalité dans ce vaste fourbi ; mais trop tard.Ce faisant, Delacroixn’apporte, contrairement à ce qu’elle prétend, aucun, ou si peu, regard neuf sur le grand peintre français. Au contraire, elle exacerbe dans la représentation qu’on en avait la mégalomanie et la propension au monumental, sinon au pompier. La faute ne porte pas sur Delacroix, mais sur les tenants de son héritage. À force de conter la geste révoltée du peintre romantique, on finit par en faire un artiste des plus… académiques.Ovide chez les Scythes, 1859
Delacroix (1798-1863), au musée du Louvre jusqu’au 23 juillet 2018Maxime
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