DÉVELOPPEMENT ET APPARITION DES CHOIX ÉCONOMIQUES
Les sociétés humaines se sont longtemps caractérisées par la pénurie. La pauvreté était le lot de l’écrasante majorité. Il ne s’agissait pas de la pauvreté relative mesurée de nos jours en pourcentage du revenu médian. On évoque ici la pauvreté absolue, celle qui risque de conduire à mourir de faim, de froid ou d’une maladie jugée aujourd’hui bénigne. Le décollage économique, qui commence en Occident à la fin du 18e siècle, fait émerger en deux siècles des sociétés riches dans lesquelles l’économie joue un rôle essentiel. D’une économie de subsistance, on passe à une économie d’abondance. Les hommes quittent l’antique fatum pour être confrontés à des choix. Autrement dit, le développement économique suppose des choix de politique économique qui ne pouvaient exister lorsqu’il s’agissait simplement de produire sa subsistance. Ces choix ont principalement porté sur le rôle de l’État : dirigisme ou libéralisme économique ? Libre-échange ou protectionnisme ? À l’issue de deux siècles de développement accéléré, il apparaît clairement que sur l’axe dirigisme-libéralisme, c’est le dirigisme qui a beaucoup progressé. Au contraire, sur l’axe libre-échange-protectionnisme, c’est le libre-échange qui a eu le vent en poupe.CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET CROISSANCE DE L’ÉTAT
En 1800, les dépenses publiques étaient inférieures à 10% du PIB dans tous les pays occidentaux. Le diagramme suivant, réalisé par l’OCDE, indique le pourcentage des dépenses publiques en fonctions du PIB pour les pays du G7 pour l’année 2015. Il est clair que le poids des administrations publiques a considérablement augmenté dans tous les pays riches, même ceux réputés les plus libéraux comme les États-Unis (37,6%). La France détient le record avec 56,7%. Cette évolution générale résulte d’un facteur principal : le pouvoir politique ne pouvait se désintéresser des choix économiques à partir du moment où la pénurie généralisée avait été vaincue. Des choix étant possibles pour la société globale, ils avaient nécessairement un caractère politique. On peut certes penser que la politique est un mal, mais c’est un mal nécessaire. L’intervention des États dans des domaines de plus en plus nombreux constitue un danger pour la liberté. De nombreux auteurs ont traité cette question. L’analyse la plus célèbre est celle de Friedrich Hayek, parue en 1944, La route de la servitude. Limitons-nous à deux observations.
- Les mises en garde de Hayek sur le risque totalitaire lié à l’expansion continue de l’État n’ont eu aucun effet. Toutes les démocraties n’ont cessé d’accroître l’interventionnisme étatique depuis 1944. Malgré les objurgations constantes des partis de gauche concernant le recul actuel de l’État, les chiffres sont sans ambiguïté. Les dépenses publiques ont augmenté de façon quasi-constante depuis la seconde guerre mondiale. Lorsque les prélèvements obligatoires n’ont pas suffi, les politiciens ont recouru sans la moindre vergogne à un endettement public massif pour assurer le financement. Les États les plus riches de la planète sont donc aujourd’hui lourdement endettés. Le risque de prélèvements confiscatoires dans le futur est élevé. La question de savoir si les démocraties se dirigent lentement vers un totalitarisme soft se pose. La douce tyrannie qu’évoquait Alexis de Tocqueville ne semble plus très loin de nous.
- Là où il s’était implanté, le totalitarisme autarcique a échoué. L’URSS et les régimes communistes d’Europe de l’Est ont disparu. Cuba est un pays pauvre. La Chine s’est ouverte au commerce international tout en conservant une dictature communiste. La Corée du Nord affame sa population pour développer un armement nucléaire.
- L’avenir dira si une compatibilité peut être trouvée entre destruction créatrice et dictature. L’histoire récente a montré que les démocraties, en laissant le champ libre aux initiatives individuelles, supplantaient systématiquement les dictatures dans les domaines scientifique et technique. Mais la Chine de demain demeure une grande et belle inconnue. En développant avec souplesse et habileté ses relations internationales, elle est sortie de l’isolement dans lequel l’URSS s’était fourvoyée.
- Les progrès géopolitiques de la Chine sont considérables. Mais le régime politique reste totalitaire. La liberté individuelle n’est pas une valeur de la société chinoise. Sans liberté individuelle, la destruction créatrice schumpétérienne sera-t-elle aussi efficiente ?