Bac + 30

Depuis vendredi midi, jour des résultats du Baccalauréat, j’ai Bac + 30. J’en ai pris conscience en parcourant via internet la liste des résultats où je découvris avec une grosse bouffée de joie le nom de mon fils suivi d’un salvateur « admis ». C’était pas gagné au vu des bulletins trimestriels et notamment du dernier, assorti d’une appréciation calamiteuse d’un donneur de leçons oublieux des règles d’accord du participe passé… Manifestement, le fiston s’ennuyait ferme au lycée et séchait pas mal d’évaluations. Du coup, j’avais bien ri de ce proviseur grammaticalement défaillant dont j’étais intimement persuadé que le fiston démentirait le pronostic négatif.

C’est chose faite ! Trente ans après, je repense à mon propre sentiment de libération, une fois le patronyme affiché sur les listes, de tant d’heures fastidieuses subies à longueur d’années dans le même bahut que le fiston. La constance de l’Education nationale à distiller l’ennui m’apparaît toujours aussi prodigieuse. C’est peut-être pour mieux faire ressentir le sentiment de joie et de liberté qui submerge tout bachelier nouvellement reçu…

La joie du père millésimé 1978 poussa donc celui-ci à saluer de vive voix le succès du rejeton frais émoulu de la cuvée 2008. Joie brisée net après trois mots au téléphone : le fiston me raccrocha au nez. Cet âge ne prend décidément pas de gants pour parfaire son « meurtre du père », déjà signifié depuis de longs mois par un silence obstiné et une ostentatoire moyenne de 5/20 en philo… Un peu plus tard, je découvrais sur ma messagerie un message de sa mère m’annonçant la nouvelle avec la chaleureuse concision d’une dépêche d’agence.

Mais qu’importe ! Au-delà de ces péripéties, l’essentiel est que Clément ait conquis un sésame et sa liberté. Et qu’il se construise désormais dans le domaine qu’il s’est choisi. Là encore, contre toute apparence au jour d’aujourd’hui, j’ai confiance. Je suis persuadé qu’un jour on se retrouvera pour, entre autres, discuter des mérites respectifs des sujets de philo de 1978 et de 2008, les autres matières n’ayant naturellement aucune espèce d’importance. N’empêche que j’ai Bac + 30 ans et que j’envie secrètement tous ceux et toutes celles qui, comme mon fils, sont à l’âge de tous les possibles…