Le saint-bernard est l’un des chiens les plus populaires au monde. Adorable, grosse peluche à même de faire craquer les cœurs les plus durs, il fait figure d’animal de compagnie de choix au sein d’un marché en plein essor. Et ça, Frederik l’a bien compris. C’est d’ailleurs bien l’une des seules idées dont il peut réellement se targuer. Car pour le reste, il possède tous les atours du raté que l’on aime détester. Arrogant, doublé d’un insupportable complexe de supériorité, Frederik n’a rien, de prime abord, d’un personnage sympathique. À plus forte raison lorsqu’il se prend à mépriser et dévaluer son associé, Rasmus, ancien camarade de classe et accessoirement ancien souffre-douleur. Qui, lui, a de son côté tout du brave type. Un peu naïf et maladroit, sur lequel on peut toujours compter, malgré ses innombrables gaffes et ses impairs pas toujours du meilleur goût, ni du meilleur effet. Et surtout, qui possède (a priori) les fonds nécessaires (grâce à un héritage que Frederik pressent juteux) pour lancer l’entreprise censée leur apporter reconnaissance et fortune dans l’Empire du Milieu. Un duo de vainqueurs que tout oppose, qui devra pourtant apprendre à se connaître et à se faire confiance, déjà se supporter (ce qui n’est du reste pas du tout gagné). Pour faire front envers et contre tout (et surtout contre tous), et tenter de s’en sortir face à l’adversité.
Mads Brügger, rompu à l’exercice du documentaire, nous entraîne donc pour son premier film de fiction dans un buddy movie qui ne dit pas son nom. Avec l’accent avant tout mis sur la chimie entre ses deux acteurs (Rasmus Bruun et Frederik Cilius Jørgensen) qui, à elle-seule, emporte totalement l’adhésion. Tantôt pathétiques, tantôt drôles, à la fois affligeants et émouvants, Frederik et Rasmus sont des personnages (chose rare) que l’on apprend à aimer. Car on ne se refait pas : si Mads Brügger a troqué ses habits de documentariste pour ceux de dramaturge, il n’en a pas pour autant délaissé l’amour de l’authenticité, et le pouvoir d’identification que confère la proximité. Une proximité d’autant plus accentuée que la forme même de The Saint Bernard Syndicate épouse totalement de prime abord celle attendue d’un documentaire, à grands renforts de scènes captées sur le vif (ou présentées comme telles), ces fameuses « images du réel » empruntes d’ambiguïté, de par la familiarité qu’elles inspirent, mais aussi à cause de la manipulation à dessein qu’en fait le metteur en scène. Jouant constamment sur l’aspect véridique de ce à quoi l’on assiste, tout en rappelant également à chaque instant que tout cela n’est malgré tout que fiction, Mads Brügger entretient la zone de flou séparant les deux pans, pour que de la sidération née du ridicule de bien des situations, émerge d’autant plus fort l’humanité criante d’une dynamique, en définitive, terriblement attachante. Mockumentary ironique ou docufiction grinçant, The Saint Bernard Syndicate possède quoi qu’il en soit les germes d’une véracité émotionnelle (et même existentielle) qui ne manquera pas d’être largement partagée : difficile dès lors, entre deux rires à gorge déployée, de ne pas s’attacher, se reconnaître (au moins en partie), et se sentir concerné.
On a donc beau voir en Frederik et Rasmus deux losers magnifiques, être souvent atterrés par leurs mauvaises idées, on ne peut que souhaiter in fine les voir réussir dans leur entreprise, poursuivre leur rêve et concrétiser leur projet. Qu’ils se réalisent avant qu’il ne soit trop tard. Après tout, « posséder un chien est signe de pouvoir ». Alors un saint-bernard….
Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2018