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Par Julien Leray @Hallu_Cine

Si le nom de Tomihiko Morimi ne vous dit rien, cela pourrait bien vite changer. Déjà auteur du roman Night Is Short, Walk On Girl, brillamment adapté au cinéma par Masaaki Yuasa l’an dernier, voici une autre de ses créations, Penguin Highway, transposée sur grand écran. Exit le génial réalisateur de Tatami Galaxy (tiens, toujours d’après les écrits de Morimi), et place cette fois-ci à Hiroyasu Ishida, jeune réalisateur dont il s’agit ici du tout premier long-métrage. Pourtant, pour qui aura déjà jeté un oeil à ses propositions précédentes (Sonny Boy & Dewdrop Girl, et surtout Fumiko’s Confession), la filiation entre le maître et le prodige annoncé de l’animé n’est pas loin d’être évidente. Même goût pour l’animation aux mouvements amples et exagérés, pour la narration percutante, dynamique et extrêmement rythmée. Même attrait pour le jeu sur les angles de caméra et les perspectives mettant de l’avant une grande profondeur de champ, ainsi que des décors riches et complexes soulignés par un travail conséquent sur les couleurs et leurs nuances. Des caractéristique formelles que l’on retrouve ainsi en grande partie dans Penguin Highway, preuve d’une vision forte imposée par un metteur en scène aux idées bien affirmées, mais dont l’exécution traduit aussi tous les impairs d’un premier long, à la fois généreux, et par souci de bien faire, probablement trop frileux.

Car à l’instar de son personnage principal Aoyama, jeune garçon précoce à l’intelligence et l’imagination débordantes, Hiroyasu Ishida souhaite prouver qu’il sera à la hauteur de la tâche (et plus encore) à son premier essai, en se montrant extrêmement rigoureux et discipliné sous tous ses aspects. Penguin Highway, aussi bien d’un point de visuel que structurel, respire donc sans conteste l’amour du travail bien fait.

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Visuel d’abord, grâce à un soin tout particulier accordé à l’équilibre entre les différentes techniques d’animation employées. 2D et 3D se mélangent ainsi harmonieusement, au service d’une direction artistique de premier plan. Quand l’animation traditionnelle s’occupe des personnages principaux et des lieux ciselés au crayon, les effets numériques, quant à eux, soulignent avantageusement le caractère surnaturel d’éléments clés de l’intrigue. L’étrangeté émanant des différences de patine et de textures entre les deux techniques y est ainsi pour beaucoup dans la tangibilité du fantastique enveloppant Penguin Highway. Un fantastique sensible, naturellement intégré dans un monde certes familier, mais avant tout appréhendé à travers les yeux d’un enfant (même s’il s’en défend), et qui exigeait à ce titre d’autant plus de soin et d’attention portés à la narration visuelle, vecteur d’expression privilégié des plus jeunes.

Une donnée fondamentale sur laquelle Hiroyasu Ishida finit pourtant par trébucher, par manque finalement de choix fort quant à son public cible, et ce malgré une réalisation de haute volée. La faute à un scénario extrêmement bavard, et à des dialogues qui, bien trop souvent, surlignent ce qui à l’image apparaît déjà évident, à la fois pour les petits comme les plus grands. Étalant son récit sur presque deux heures au demeurant bien remplies, Hiroyasu Ishida tombe dans l’écueil de vouloir tout expliquer, tout contrôler par les mots pour que son auditoire soit cadré, là où son histoire aurait au contraire sûrement gagné à prendre des risques, et surtout respirer. Sans aller jusqu’à dire que le film aurait pu être raccourci (aucun élément n’étant réellement en trop ou superflu), ce trop-plein permanent donne surtout l’impression d’être là avant tout pour épater la galerie.

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Ce qu’Ishida peut malgré tout se permettre sans que ça ne soit, en définitive, si dommageable que cela. Comme pour Aoyama, une nouvelle fois. Le luxe des doué(e)s et des petits génies. Car au-delà des problèmes d’écriture susmentionnés, le metteur en scène fait preuve d’une surprenante maitrise des temps faibles et des temps forts de son film, lui insufflant un sens du rythme immersif et salvateur, en dépit ci et là de quelques longueurs. Surtout, Hiroyasu Ishida a eu la bonne idée d’apposer à la structure de son métrage les contours de « l’autoroute des pingouins », avec en conséquence un début, mais pas vraiment de fin. Dans quel but ? Celui d’expliciter, cette fois-ci par le ressenti et le non-dit, que l’apprentissage et la formation sont des processus continus faisant la part belle aux erreurs et à l’expérimentation, même si pour cela, il faudra parfois accepter de tourner en rond. Pour arriver à maturité et en ressortir grandi.

Aussi, alter-ego d’un enfant se voyant bien plus grand qu’il ne l’est (s’entichant d’ailleurs d’une femme bien plus âgée que lui en même temps qu’il découvre sa sexualité – avec tout ce que cela peut induire d’obsessions grivoises à polir et cadrer), déterminé tout étant conscient qu’il devra, à son corps défendant, se montrer patient, Hiroyasu Ishida signe avec Penguin Highway une œuvre certainement davantage perfectible qu’escompté, mais dont il mesure lui-même pleinement les limites et le chemin qu’il lui reste à parcourir avant que son potentiel ne puisse totalement s’épanouir et s’exprimer. Signe s’il en est d’un cinéaste talentueux désireux d’apprendre et de s’améliorer : si Penguin Highway n’est pour Ishida qu’un très bon galop d’essai, voilà qui promet.

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Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2018

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