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Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 31

Publié le 19 août 2018 par Antropologia

Bivouac en montagne

Chroniques de  l’ordinaire bordelais. Épisode 31

Parties trop chargées, on se l’est bien mérité notre coin de paradis. Vers 17h les derniers randonneurs partis, nous nous baignons dans le lac désert, avec un vague sentiment d’être les reines du monde  et de savourer un des derniers espaces de liberté, gratuité et tranquillité…

Voilà des années que nous en parlons de cette nuit en montagne, moi vantant la brume qui emmitoufle et le seul bruit des cloches des troupeaux en estive. Pour elle, c’est une première. D’ailleurs vers 18h, la brume franchit un col au nord et enveloppe le lac, le jeu de cache-cache du soleil nous offre une prodigieuse lumière. Puis elle s’éclipse pour revenir par l’est, plus épaisse encore.

Nous choisissons minutieusement l’emplacement de la tente : nous voulons voir le lac au lever, ne pas être face au vent, ne pas être sur un lieu de passage des animaux…  Nous la dressons avant le repas froid.

Vers 19h30, le paradis se transforme en enfer. Cela commence par des voix dans la brume. Nous sommes d’abord sidérées car, autochtones, nous savons pertinemment qu’il ne faut jamais monter à cette heure-là, surtout si on est pris par la brume.  Finalement dix silhouettes se détachent du brouillard, neuf hommes, une femme. Les trois premiers posent leurs sacs à proximité de nous, ce qui nous surprend autant que cela nous inquiète, nous espérons juste qu’il s’agit d’une halte pour attendre les derniers. Mais non, ils ouvrent leurs sacs tandis que la femme se dirige vers nous.  A son salut nous répondons par cette question qui manifeste notre incrédulité autant que notre courroux :

  • Vous n’allez quand même pas camper là ? Il y a de la place plus loin, il y a toute la montagne !

Elle envisage de se plaindre – ils ont eu peur dans la brume – et nous dit qu’il y a de la place pour une tente mais pour cinq seul cet emplacement convient. Avant d’ajouter : « C’est libre ! »

Elle s’éloigne tandis que cinq tentes identiques, vert clair, nous encerclent méthodiquement.  Sylvie suggère un déménagement, je m’y oppose catégoriquement. En moins d’une heure, nous connaissons tous les prénoms tant ils sont bruyants, notamment un dont la gouaille nous insupporte. Nous comprenons qu’ils sont Belges et qu’il s’agit d’un groupe d’ados et jeunes adultes encadrés par deux éducateurs. Nous n’avons rien contre les Belges ou contre les éducateurs mais nous nous posons des questions sur les valeurs éducatives qu’ils portent : la liberté, oui mais laquelle, celle d’importuner les autres ? Et sur leurs compétences, vu la mise en danger des jeunes dont ils sont responsables…

Ils préparent et mangent leur repas à moins de 10m de nous, ne baissant aucunement le ton même quand nous pénétrons dans notre abri pour dormir. Navrée, je vois cette pauvre Sylvie enfoncer des bouchons dans ses oreilles…

Au petit matin, je profite seule du lever du soleil et des cloches des troupeaux… Dès qu’ils se réveillent le tintamarre redémarre…  Déjà, des randonneurs partis à la fraîche atteignent le lac et respectent tous, sans exception cette règle tacite de base : ils s’installent au plus loin de ceux qui occupent déjà les lieux pour respecter leur tranquillité et assurer la leur…

Vers 9h30, coup de théâtre. Surgie de nulle part, notre amie Mireille est là, devant nous et extirpe de son sac un thermos de café bien chaud, un autre de thé et un fameux cake au citron maison ! Stupeur chez les envahisseurs, qui nous regardent petit-déjeuner avec envie et pour une fois en silence. Mireille nous raconte, hilare, qu’elle n’en croyait pas ses yeux quand, du col qui surplombe notre campement, elle a vu notre tente encerclée. Un chariot cerné par les indiens… Par ce beau geste d’amitié, elle sauve notre expédition…

Les malotrus repartent par le même sentier que la veille vers 10h30, rendant à tous ce qu’ils étaient venus chercher… Quand nous redescendons à notre tour, nous découvrons, effarées, à quelques pas de la zone de bivouac, derrière une butte, 200 m2 maculés de papier toilette blanc. Ces éducateurs-là ? Nous nous interrogeons à nouveau sur les valeurs éducatives qu’ils portent…

Colette Milhé


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