La polémique sur son accord secret d'acquisition des données de paiement de Mastercard encore chaude, Google annonce ces jours-ci une nouvelle initiative qui, pour peu qu'on la mette en perspective du mini-scandale en cours, peut laisser penser que toute tentative de résistance à la tyrannie de l'analyse de l'information est vaine…
C'est un projet en apparence anodin (et probablement obscur pour une partie des lecteurs) qui m'intéresse ici, à savoir la création d'une base de données analytique (sur la base de la technologie BigQuery de Google) reprenant l'intégralité de la blockchain d'Ethereum, actualisée quotidiennement, et accessible librement à tous les curieux et autres développeurs. Elle vient compléter une première réalisation similaire, présentée au mois de février dernier (et qui m'avait échappé), pour la blockchain du Bitcoin.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Et en quoi est-ce important ? Les deux blockchains dont il est question sont simplement les livres de comptes des cryptomonnaies les plus populaires du moment et, à ce titre, elles enregistrent toutes les transactions réalisées, sans possibilité de modification (c'est la propriété d'inaltérabilité). Totalement publiques par nature, Google ne fait que rendre les données qu'elles stockent plus faciles à exploiter pour des besoins d'analyse en tout genre, grâce à ses outils spécialisés.
Imaginons maintenant que le monde se mette à adopter le Bitcoin (ou une cryptomonnaie quelconque conçue sur le même principe) pour une partie significative des échanges commerciaux. Google serait alors en position, avec sa base de données, d'appliquer ses redoutables algorithmes d'analyse à l'ensemble des opérations… Plus besoin dans ces conditions de négocier des collaborations avec Mastercard et ses consœurs, les informations nécessaires seraient immédiatement disponibles – gratuitement qui plus est – pour développer à loisir le ciblage des publicités (pour commencer)…
Il est vrai que, en l'occurrence, du fait de l'ouverture des blockchains, les mêmes opportunités tendraient les bras à toute entreprise désirant s'en emparer. Cependant, un acteur possédant une emprise aussi importante que Google sur un marché tel que celui de la publicité en ligne peut en faire une arme extraordinaire, par exemple en disposant des moyens de rapprocher la présence de consommateurs (identifiés) dans une boutique (via leur téléphone) de leurs actes de paiement, comme il lui est reproché de la faire aujourd'hui avec les données de Mastercard.
Pourquoi cette hypothèse, pourtant parfaitement réaliste, et qui pourrait en outre prendre en défaut le principe d'anonymat (relatif) des participants aux réseaux Bitcoin ou Ethereum, ne suscite-t-elle pas un tollé comparable à celui qu'a déclenché l'article de Bloomberg la semaine dernière ? Bien sûr, à ce stade, l'usage des cryptomonnaies est confidentiel et la menace de « surveillance » paraît lointaine… Mais les initiatives de Google autour des blockchains ne devraient-elles pas déclencher un début d'alarme ?