Sarah Bernhardt (Theodora) lors de la création
parisienne de la pièce de Victorien Sardou
Voici l'article du Temps:
"Le roi Louis II à Paris
Ainsi les rois, ne boudant plus, rendent visite désormais à Paris sans s'abriter sous l'incognito. Mais qui saura jamais combien de souverains, empereurs ou rois, sont venus chez nous, en notre ville, en se dissimulant, en prenant les plus grandes précautions pour que leur voyage secret ne fût point troublé? On cite des noms, on donne des indications vagues mais aucun renseignement précis n'est fourni sur ces faits, menus sans doute, mais intéressants cependant, de la vie des princes contemporains.
Il nous a été donné, il y a quelque temps, de recueillir une information sûre à propos d'un roi qui, certes, n'était pas d'un caractère ordinaire, de celui que Catulle Mendès dénommait le roi vierge, nous voulons parler du roi Louis II de Bavière. Il est sûr que ce souverain, dont l'existence bizarre devait avoir un dénouement si tragique, est venu à Paris, et c'est de notre cher maître M. Victorien Sardou que nous en tenons la preuve.
Il nous pardonnera de nous être souvenu d'un petit récit qu'il nous fit, un jour, et de le reproduire:
"C'était, nous racontait-il, quelques mois après les représentations de Théodora. Je reçus un matin la visite d'un personnage important de cour de Bavière, qui me dit « Je viens de la part de mon souverain, le roi Louis II, qui veut faire représenter sur l'un de ses théâtres Théodora. Il désire que la pièce soit représentée avec éclat et avec une exactitude de mise en scène aussi complète que celle dont on usa à Paris. Voici, du reste, une série de renseignements qu'il désirerait tenir de votre obligeance.
Je pris connaissance des diverses questions posées par le roi et, après y avoir répondu de mon mieux, j'envoyai au chambellan dont j'avais reçu la visite les renseignements qu'il m'avait demandés. Quelques jours après, nouvelle visite du chambellan. Il me remercie tout d'abord. Puis il me dit: "Le roi a encore un éclaircissement à vous demander. Il s'agit des vitraux de la chambre de Justinien. La note que vous lui avez remise à ce sujet ne lui paraît pas conforme à la réalité des faits. Il vous fait telle et telle objection et s'informe si ces vitraux ne seraient point plutôt de telle sorte et de telle matière. .."
Je regardai, je me rappelai et je dis à mon interlocuteur: "Bigre! il faut vraiment que la personne qui a apprécié ces menus détails, ait d'abord une grande connaissance de ces choses et ensuite y ait prêté une grande attention. Qui donc a pu renseigner ainsi votre souverain?»
Et le chambellan me répondit: "Sa Majesté s'est renseignée elle-même. Venue récemment à Paris, elle a assisté à la représentation de Théodora. Elle doit désirer qu'on ne le sache pas, mais puisque vous avez pénétré son secret, je puis vous certifier que vous avez deviné juste."
M. Victorien Sardou ne nous a raconté cette amusante anecdote que bien longtemps après la mort de Louis II. Tous ces événements sont déjà assez loin pour qu'il nous pardonne notre petite indiscrétion d'aujourd'hui.
Adolphe Aderer."