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BlacKkKlansman. Spike Lee infiltre le Festival de Cannes

Par Balndorn

BlacKkKlansman. Spike Lee infiltre le Festival de Cannes
Résumé : Au début des années 70, au plus fort de la lutte pour les droits civiques, plusieurs émeutes raciales éclatent dans les grandes villes des États-Unis. Ron Stallworth devient le premier officier Noir américain du Colorado Springs Police Department, mais son arrivée est accueillie avec scepticisme, voire avec une franche hostilité, par les agents les moins gradés du commissariat. Prenant son courage à deux mains, Stallworth va tenter de faire bouger les lignes et, peut-être, de laisser une trace dans l'histoire. Il se fixe alors une mission des plus périlleuses : infiltrer le Ku Klux Klan pour en dénoncer les exactions.
Pourquoi le dernier Spike Lee, réalisateur souvent boudé par le public américain, a-t-il décroché le Grand Prix du Jury en mai à Cannes ? Parce qu’il faut le resituer dans un milieu artistique résolument anti-Trump, dont l’engagement politique compense la valeur esthétique.{Attention : divulgâchages en fin d’article}
Pour qui sont ces satires ?
Ne soyons pas non plus ingrats, et ne boudons pas notre plaisir. BlacKkKlansmanfonctionne. Son efficacité comique n’est pas ici à mettre en cause. La satire des idéaux chevaleresques dont se parent les membres du Ku Klux Klan, dont les fantasmes vont encore et toujours se nourrir de Naissance d’une nation, ramène ces idiots blancs à leur indécrottable grotesque.Mais voilà. BlacKkKlansman est un objet ambigu. Dans la salle, on se fend la poire. Et puis, quelques jours après, en y repensant, on lui trouve des défauts. Et surtout : un parti pris regrettable. Le Klan, son idéologie raciste et ses white trash sont des cibles faciles pour la satire en 2018. Évidemment, au moment des événements racontés (dans les années 70, en plein mouvement Black Panther), cela l’était moins, mais Spike Lee effectue un grand télescopage entre histoire et actualité politique à chaud. Filmés en gros plan, les gestes des membres du Klan renvoient presque tous à Trump et son entourage, à l’instar de la vigoureuse poignée de main de David Duke (Topher Grace), qui rappelle celles que prodigue avec ardeur l’actuel président américain. La Palme d’Or du télescopage revient au montage de la séquence finale, qui lie allègrement le Klan des années 70 aux images d’archives de l’attentat de Charlottesville en août 2017, perpétré par un homme de l’altright pure et dure.Bien entendu, rapprocher Trump de l’altright qui l’a (en partie) porté au pouvoir est très juste. Souligner que le David Duke réel, quoique vieillissant, se réjouit de la politique présidentielle fait son effet. Mais en quoi est-ce nouveau ? Sort-on du cinéma avec un regard neuf sur Trump ? Ou l’enjeu du film n’est-il pas précisément de nous conforter dans notre propre point de vue, de flatter notre bonne conscience ?
Une défaite au goût amer
Posons-nous simplement la question du public. Qui Spike Lee a-t-il visé ? ou à défaut d’intentionnalité, qui a-t-il trouvé, sinon les faveurs de l’intelligentsia dite « de gauche », à tout le moins libérale, qui depuis près de deux ans n’admet toujours pas sa défaite électorale et son impuissance à mobiliser les classes populaires ? Plus qu’un film politique, BlacKkKlansman est un film religieux. À la différence de la sphère politique, il ne pratique pas l’art du compromis et de la réconciliation, mais, tel un dogme religieux, énonce un schisme infranchissable. Tels sont les bons Américains, métissés, tolérants et ouverts aux autres, incarnés par David John Washington et Adam Driver ; et tels autres, blancs, racistes et violents, qu’ils soient du Klan ou policiers brutaux, représentent la face diabolique de l’Amérique. La guerre de classes est ouverte. Tant mieux et tant pis.Tant mieux, car identifier son ennemi et reconnaître qu’il n’y aura nul compromis à en accepter invite au courage politique. Tant pis, car figeant les lignes, elle tend à centraliser les positions, à rassembler les rangs, bref, à homogénéiser l’idéologie de la résistance. C’est ici qu’il faut parler du traitement de la police.
Combattre le racisme avec l’aide de la police ?
Étonnamment – et c’est sans doute ce qui lui a valu son succès critique et commercial –, Spike Lee a représenté les forces de l’Ordre à leur avantage. Protectrices des minorités, garantes du respect des droits humains… on en oublierait presque que la police tue chaque année des dizaines d’Afro-Américains et de Latinos. Deux forces perturbent cet équilibre. D’une part, Landers, archétype du flic qui use et abuse de son pouvoir pour torturer des Noirs, à l’instar de Jason Dixon dans Three Billboards. D’autre part, les révolutionnaires Black Panthers, menés par l’intransigeante Patrice Dumas (Laura Harrier), menacent l’ordre social. Aussi Spike Lee tranche-t-il curieusement. Plutôt que de se rapprocher des Black Panthers, le cinéaste réhabilite le rôle de la police et inscrit la lutte afro-américaine dans une perspective légaliste : c’est seulement en s’appuyant sur la police que les Black Panthers réussissent à faire coffrer et Landers et le Klan. Ce qui manque en fin de compte à BlacKkKlansman, c’est l’analyse du racisme en tant que phénomène socialement institué – analyse que poursuit Patrice – et non comme tare spécifique à certains individus – théorie que défend Ron Stallworth. De ce point de vue, Spike Lee tire davantage vers la satire morale à la Molière, qui entend redresser des torts sociétaux en les comblant de ridicule sur scène, que vers la critique politique d’un Raoul Peck dans I Am Not Your Negro. Pour combattre la haine, faut-il se contenter d’en ridiculiser les archétypes les plus outranciers, ou au contraire faut-il la débusquer au cœur des mécanismes sociaux ordinaires ?
BlacKkKlansman. Spike Lee infiltre le Festival de Cannes
BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan, Spike Lee, 2h16, 2018
Maxime
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