L’étude de la notion de puissance dans un pays comme la France est une épreuve difficile. Contrairement au milieu décisionnaire anglo-saxon qui n’a pas de blocage intellectuel pour traiter la question, les différents centres de pouvoir français (politique, militaire, économique, culturel) éprouvent certaines difficultés à évoquer la notion de puissance dans leur contexte respectif et ont tendance à lui attribuer une consonance plutôt condamnable sur le plan de la morale. Ces réserves s’expliquent en partie par le cadre spécifique dan lequel s’est développé au cours des siècles la réflexion que la manière d’appréhender les rapports de force. Il est nécessaire de cerner les éléments-clés, constitutifs d’une grille de lecture.
La pérennité des racines paysannes
L’étude de la notion de puissance en France est marquée par les réalités géographiques, climatiques et culturelles. Contrairement à bien d’autres pays, les populations qui ont peuplé les territoires de l’hexagone, ont été favorisées par les conditions d’exploitation des sols pour le développement d’activités agricoles. Ce contexte favorable a marqué l’existence des gens durant plusieurs milliers d’années. L’esprit paysan est né de cette réalité. Le rapport à la terre et à sa possession a généré une relation particulière de l’individu avec son environnement immédiat. Le paysan a pris l’habitude de surveiller ses champs et de ne pas se projeter au-delà de cet horizon. La question de la survie ne s’est pas posée de la même manière pour les peuples qui ne pouvaient pas se nourrir et qui devaient aller chercher ailleurs leurs sources de subsistance. Un tel contexte a conditionné le rapport de l’individu à la conquête et à la perception collective de la notion de puissance, notamment par le fait qu’il n’était pas obligé de chercher des territoires propices à la survie. Autrement dit, les peuples qui vivaient dans ce qu’on appelle aujourd’hui la France, n’ont pas été soumis à l’obligation impérative de migrer à l’extérieur de leur territoire.
La focalisation sur l’intégrité du royaume
Les différentes étapes de construction de l’unité du royaume de France ont été dominées par le tracé des frontières et la conservation des acquis territoriaux dans une certaine logique géographique. La France est le seul pays avec les provinces unies à avoir conçu une stratégie durable de fortification de ses frontières terrestres et maritimes. Parmi les ennemis les plus importants et les plus récurrents que la France a eu à affronter, figure le saint empire romain germanique qui symbolisait la menace continentale à l’Est.
La priorité donnée à la protection des frontières
Les pouvoirs politiques ont eu comme préoccupation première de préserver l’intégrité et l’indépendance du territoire jusqu’au milieu du XXè siècle. Ce caractère prioritaire a donné à une vision défensive de la guerre qui n’a été transcendée qu’à de rares occasions.
Les dynamiques contradictoires de la colonisation
La démarche de colonisation a plutôt été réactive et n’a pas été la même en Afrique et en Amérique du Nord. En Amérique du Nord, la France dut tenir compte de la difficulté à trouver ds volontaires pour s’expatrier dans des contrées au climat froid du Québec ou aux territoires marécageux de la Louisiane. Contrairement à l’Afrique, aux Antilles ou aux contrées asiatiques, la France s’est alliée militairement aux tributs indiennes. Les colons ont adopté le mode des vies des indiens. Les Français n’ont pas cherché la colonisation systématique. C’est le cas lorsqu’ils découvrent Hawaï sous Luis XVI. Ils ne s’emparent de ce territoire.
Les limites de la matrice révolutionnaire
Après 1789, la disparition de l’ancien régime entraîne la naissance d’une idéologie sur la libération des peuples du joug de la monarchie absolue. Dans les faits, l’idéologie républicaine a servi de prétexte à la conquête provisoire de nouveaux territoires qui serviront de base à la dynamique impériale impulsée par Napoléon Ier.
Les retombées des divisions politiques intérieures après les guerres révolutionnaires et impériales
En 1815, les alliances nouées avec des puissances étrangères (coalition des monarchies contre Napoléon Ier) pour régler in fine des problèmes de politique intérieure (restauration de la monarchie en France) faussent la notion de patriotisme et génèrent un doute durable sur la pertinence de la notion de puissance.
La division sur la préservation de la puissance française après la défaite de 1870
La défaite militaire contre la Prusse a été vécue un traumatisme important en raison de la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. L’opposition de Georges Clémenceau à la stratégie de Jules Ferry figure dans les archives numériques de l’Assemblée Nationale. Il est révélateur des contradictions du monde politique français sur la question de la puissance. Pour maintenir une influence française sur la scène internationale, Jules Ferry suggère un ersatz de puissance par la création de l’empire colonial. Georges Clémenceau est contre et propose de concerter les forces économiques et financières sur le développement de l’hexagone.
Les limites de la capacité de projection extérieure
La vision conquérante d’un empire a été limitée à quelques strates de la société française. Elle n’a pas débouché sur une remise en cause d’une approche prioritaires des rapports de force, centrée sur l’hexagone. La France a préféré négocier que s’affronter à l’empire britannique en lui abandonnant la maîtrise du pétrole au Moyen Orient.
La puissance défensive (deux guerres mondiales)
Malgré les discours militaires sur une guerre offensive pour reconquérir les territoires alsaciens et lorrains, la France n’a jamais vraiment attaqué mais a surtout défendu sous la pression des stratégies mises en oeuvre par les armées du IIè et du IIIè Reich. La défaite de 1940 et le démantèlement de l’empire colonial ont atrophié un peu plus l’approche du concept de puissance qui subit un coup presque mortel avec la campagne franco-britannique contre l’Egypte lors de la nationalisation du canal de Suez par Nasser. le général de Gaulle réutilisera l’expression pour expliquer l’importance de la dissuasion nucléaire mais sans aller au-delà de cette marge de manœuvre cognitive. Il préférera mettre en avant la nécessité de préserver grandeur de la France. CVe discours quelque ésotérique aura du mal à trouver un assentiment populaire ou m^me une reconnaissance d’ordre académique.
L’acte non soldé du choix de la collaboration
La fragilité de la pensée politique française à l’égard du concept de puissance s’est d’autant plus ressentie lors des phases de « collaboration » de l’Etat français avec une puissance étrangère sous la Restauration, lors de l’affrontement entre les Versaillais et la Commune et durant l’occupation nazie. Ce réflexe de « collaboration » n’a pas disparu après la seconde guerre mondiale. Le suivisme, voir l’adhésion, d’une partie non négligeable de la classe politique à la stratégie des Etats-Unis durant la guerre froide et après la chute du Mur. Ce choix pèse lourdement aujourd’hui sur l’évolution de la politique européenne. Le fait qu’il n’ait été assumé discrètement par des personnalités telles que Jean Monnet ou publiquement que par des intellectuels comme Raymond Aron limite considérablement les possibilités de l’ouverture d’un débat constructif. Il est d’autant plus nécessaire en raison de l’impasse du multilatéralisme et de la reconstitution déguisée des Blocs ou des dynamiques impériales.
Christian Harbulot
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