Le quotidien parisien Gil Blas consacre une large part de son édition du 9 février 1909 à la vie et à l'oeuvre de Catulle Mendès, tragiquement décédé deux jours auparavant. En page 3, Jean-Bernard, l'éditorialiste de la rubrique A l'extérieur, y raconte une amusante anecdote qui concerne la genèse de la Part du roi, la deuxième pièce de théâtre qu'écrivit Catulle Mendès, qui, si l'on en le Gil Blas, fut indirectement inspirée par le roi Louis II de Bavière. Cette petite comédie en vers fut publiée par l'éditeur Jouaust en 1872.
" A L'EXTÉRIEUR
Les coulisses diplomatiques nous fournissent, parfois, des anecdotes littéraires qui trouvent leur place au courant de l'actualité.
La mort de Catulle Mendès nous remet en mémoire une petite histoire qu'il nous raconta lui-même au cours d'une conversation, dans cette forêt de Saint-Germain, où il aimait parfois deviser avec quelques amis.
Ceux qui sont au courant des annales du théâtre savent que la première pièce de Catulle Mendès fut jouée au théâtre du Capitole de Toulouse, alors que le poète portait encore la tunique de lycéen ; cette première pièce avait pour titre : Les Jarretières de ma femme.
La seconde pièce fut écrite après la guerre [franco-allemande de 1870, Ndlr] ; c'est une comédie en vers en un acte, la Part du Roi, qui fut jouée à la Comédie-Française en 1872, par Bressant et Mlle Croisette. Cette pièce a même une petite histoire, qui, par le milieu où elle se déroule, permet de la raconter sous cette rubrique un peu grave : A l'Extérieur, réservée d'habitude à l'examen des problèmes parfois compliqués qui mettent en jeu les intrigues internationales.
Catulle Mendès venait d'arriver à Paris, et il rencontra, dans le même hôtel où il était descendu, une dame de province, riche, une quarantaine de mille livres de rente, fort jolie et qui allait à Munich. Mendès y allait aussi ; ils firent route ensemble. A ce sujet, Catulle Mendès, qui, lorsqu'il était de bonne humeur, n'engendrait pas la mélancolie, me donna des détails qui étaient gais, mais n'ajouteraient rien à notre feuillet d'histoire contemporaire.
C'était au moment où Munich, bien avant Bayreuth, jouait les œuvres de Wagner, et Catulle Mendès allait assister à la première représentation de l'Or du Rhin [à l'été 1869].
— Qu'allez-vous faire, à Berlin, demanda le poète à la jolie dame.
— Je vais, lui dit-elle, jouer le rôle de Lola Montès.
C'était une de ces bourgeoises que les lectures de Mme Bovary avaient détraquée ; elle se croyait bien supérieure à son mari, un agent de change de province, qu'elle avait quitté, rêvant de devenir la maîtresse de Louis II, le roi de Bavière, qu'on disait être vierge.
Le moment était, du reste, favorable. Louis II venait d'avoir une brouille avec son cher Wagner ; la compagne de voyage de Catulle Mendès possédait des lettres d'introduction pour le roi. Elle fut reçue par lui, mais ne réussit pas, et Louis II ne lui donna pas à jouer le rôle que Lola Montès avait rempli auprès de Louis Ier, son prédécesseur. Elle revint à Paris et se réconcilia avec son mari.
Partant de cette idée, une femme allant à la conquête d'un roi, Mendès renversa la proposition et mit en scène un prince partant pour la conquête d'une femme, d'où est née : La Part du Roi.
Comme quoi les vicissitudes de la politique étrangère servent parfois les poètes.
Jean-Bernard. "
Note
Si La Part du Roi de Mendès a été inspirée par l'anecdote ferroviaire qu'évoque le Gil Blas, le scénario de cette pièce ne concerne en rien le roi Louis II de Bavière. Comme l'indique la notice bibliographique qui accompagne une des éditions du texte, c'est la chimère d'une jeune actrice "qui avait peut-être rêvé d'être la favorite d'un jeune roi du pays des fées" qui a inspiré l'auteur du Roi vierge.