Où l'on déconstruit l'argumentaire social du président des riches, après l'échec du ruissellement et les économies sur le dos des patients et des chômeurs qu'il a mis en place.
`
Rantanplan
Alexandre Benalla n'était pas garde du corps. Ni responsable de la sécurité de l'Elysée. Et s'il portait un flingue quand il était auprès du président de la République, c'était pour sa propre sécurité, pas celle de Macron. Voici trois des idioties que l'ex-barbouze de l'Elysée explicite, sous serment, devant la commission d'enquête sénatoriale dont il avait qualifié le président de "petit marquis" quelques heures auparavant. Cette audition fait rire, autant que les pressions précédentes proprement ahurissantes du clan macroniste pour que cette audition n'ait pas lieu avaient pu convaincre qu'il s'agit bien d'une affaire d'Etat. Le second auditionné, Vincent Crase, tente en vain de se cacher des caméras. Il refuse de dévoiler la fonction de Benalla. Il fait bien rire quand il explique qu'il n'avait jamais le temps de voir Benalla, "même pas pour déjeuner à midi".
Il y a donc une affaire Macron, Benalla et Crase ne sont que des pantins. Cette affaire fait flipper, tant elle révèle la désorganisation de l'Elysée, l'amateurisme de ceux qui nous gouvernent, les libertés qu'ils prennent avec le bon fonctionnement de la Présidence, et les délits individuels qu'ils tolèrent.
Mais cette affaire n'efface pas les "bonnes nouvelles politiques" de la semaine.
Flip-Advisor
Agnès Buzyn a retrouvé le sourire. Elle l'exhibe sur les plateaux de télévision pour présenter son plan santé. Enfin des bonnes nouvelles ! D'abord les propositions de création de communautés professionnelles territoriales de santé sont bien accueillies par les syndicats de médecins. Ensuite, elle supprime le numerus clausus des études de médecine qui disqualifiait en fin de première année les deux tiers des étudiants. Enfin, elle annonce des moyens supplémentaires, 400 millions d'euros l'an prochain ! C'est Noël en septembre !
Et au passage, elle glisse l'une des idées les plus crétines du moment, un nouvel exemple de cette maladie du nouveau monde, l'uberisation des esprits qui pousse chacun(e) à noter, "liker"ou "unliker":
"Les patients vont pouvoir noter les hôpitaux."
Patatras...
La manœuvre avait commencé deux semaines auparavant. Le 10 septembre, le ministère publie le bilan des dépenses de santé en 2017. La presse conservatrice et financière se jette sur une phrase choc: "la part du reste à charge direct des ménages dans la consommation des Biens et services médicaux poursuit son mouvement de baisse régulière depuis 2008 et s’établit à 7,5 % en 2017." Et hop ! Ce constat, souvent sans davantage d'analyse, tourne en boucle dans les médias ! Les ménages seraient de mieux en mieux pris en charge ! De quoi vous plaignez-vous les pauvres ?
On se réjouit évidemment que le "reste à charge" des ménages sur leurs dépenses de soins soit l'un des plus faibles de l'OCDE (8%, soit 15 milliards d'euros en 2017), et en diminution constante depuis une décennie. Mais la ficelle est grosse, et la réalité sacrément plus nuancée. Primo, le bila, publié par les services de Mme Buzyn traite de l'ancien monde, 2017, avant la révolution jupitérienne. Secundo, cette mesure est très partielle: elle ignore le manque de soins; et elle ne répertorie que la fraction non remboursée par l'Assurance maladie, pas les dépenses de soins intégralement à charge des ménages. Tertio, ce constat est réducteur: il tait honteusement que les ménages ont à leur charge des cotisations sociales (13% du financement de l'assurance maladie par exemple) et de mutuelles - le reste à charge après remboursement de la Sécu est de 28% en moyenne, hors patients en Affection de Longue Durée, il tombe à 8% après prise en charge des mutuelles qui elles-même sont payées... par les patients.
4 milliards d'économies en 2018
Mais ne gâchons pas le bonheur d'Agnès Buzyn. La ministre était heureuse d'annoncer qu'elle avait du budget ... Vraiment ? Qui a oublié la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2018 (LFSS 2018) et ses 4,2 milliards d'euros d'économies ? L'action du gouvernement Macron depuis juin 2017 tient en quelques mesures majeures:
1. L’adossement du RSI au régime général est un transfert d'environ 15 milliards de charges et autant de produits vers le régime général. Le RSI couvre 4,6 millions d'assurés en maladie, 2 millions de retraités et 2,8 millions de cotisants dont 40% sont micro- entrepreneurs.
2. Le report de la revalorisation des retraites a permis d'économiser -400M€ (tandis que l'équipe macroniste se gargarisait d'avoir revalorisé le Minimum Vieillesse de +120M€). La mise en œuvre des réformes Sarkozy puis Hollande du régime de retraites a par ailleurs permis d'économiser à peu près autant. La désindexation des retraites de l'inflation est le dernier coup dur en date.
3. La démolition des dispositifs Hollande de prise en compte de la pénibilité au travail est un autre fait d'armes de Jupiter. Le président des riches a fait supprimer la cotisation pénibilité due par les entreprises et le fonds pénibilité créé sous Hollande. Dans ses Ordonnances Travail de l'été 2017, il a gravement allégé la mesure de la pénibilité par les entreprises (pour le calcul des conditions de retraites ultérieures). Pourtant la France est l'un des pays où les inégalités sociales de mortalité et de santé sont les plus élevées en Europe occidentale. Pire, elles s'aggravent. A 35 ans, un cadre a encore 49 ans d'espérance de vie, dont 34 en bonne santé. Un ouvrier du même âge, seulement 43 années, dont 24 en bonne santé.
4. Macron a réduit également les prestations familiales, 300M€ d'économies, essentiellement sur les allocations pour la petite enfance.
5. Mais le plus important fut certainement les 4 milliards d’économies sur l'assurance maladie. La progression naturelle des prestations maladie (+3,2% en 2017 ramenés à +2,2% en 2018) a été contenue par un plan d'économies de 4 milliards: "la taille de la population, le vieillissement et la prévalence des ALD, expliquent au total près de 60 % de la croissance des dépenses de santé" notait la Sécu en 2017. Malgré ces évolutions structurelles, le gouvernement a cherché à économiser sur le dos des patients tout en réduisant la pression fiscale sur les foyers les plus riches. Le plan d'économies, détaillé par les services de Bercy, a frappé les hôpitaux publics (1,5 milliards) et les patients (réduction des prescriptions de médicaments et dispositifs médicaux pour 320 millions; effort de "maîtrise médicalisée" demandée aux médecins dans leurs prescriptions pour 320M€; moindre prise en charge des arrêts de travail pour 240M€; augmentation du forfait hospitalier pour 200M€; déremboursements de spins pour 180M€).
Face à ce premier bilan, temporaire, le "plan santé pour 2022" présenté en fanfare par Emmanuel Macron lui-même puis ses perroquets ministres et député(e)s fait pâle figure: l'effort de 400 millions d'euros, débloqués pour financer diverses mesures (dont 4000 postes d'assistants médicaux payés au SMIC) est une goutte d'eau, 10% à peine des économies demandées à la santé publique cette année. Le gouvernement veut aussi créer 400 postes de médecins généralistes salariés dans des déserts médicaux par le biais d'incitations non encore négociées avec les syndicats de médecins, et, vraie bonne nouvelle, la réduction progressive de la part de financement à l’activité (T2A) et à l’acte mise en place sous Sarkozy et responsable d'une gestion injuste et inefficace des hospitalisations.
Last but not least, Macron n'a rien à dire, rien à proposer à la moitié des personnel de santé... les infirmier(e)s. Une profession sous tension, au bord de la crise de nerfs et du burn-out, qui se supporte en première ligne pourtant l'essentiel des travers du système actuel pointé par le gouvernement dans sa présentation du plan - saturation des urgences,
Le cercle vicieux du ruissellement
Mais ce n'est pas tout. La politique fiscale de Macron, en sus d'être injuste, a aussi fait des dégâts sur les comptes sociaux.
Pour 2018, le gouvernement Macron avait fait voter "un allégement sans précédent des prélèvements sur les revenus d’activité" en supprimant le paiement de certaines cotisations sociales (assurance maladie, assurance chômage). En instaurant la "flat tax" qui forfaitise et plafonne les impôts et cotisations sociales sur les revenus du capital, le gouvernement a aussi allégé de 2,4 milliards d'euros les prélèvements sociaux sur les revenus du capital qui finançaient la Sécu. En contrepartie, la CSG avait augmenté pour tous (sauf sur les indemnités chômage et les retraites inférieures à 15 000 euros par an, soit 40 % des retraités ayant les revenus les plus faibles; et sauf pour les revenus du capital épargnés de toute hausse de prélèvement grâce à la flat tax...).
Notez le tour de passe-passe: 7 milliards d'allègement de cotisations sociales d'un côté, 25 milliards d'euros d'augmentation de CSG de l'autre... Les vrais gagnants ? Ces ultra-riches qui ont vu leur imposition et cotisations sociales baisser grâce à la suppression de l'ISF et surtout l'instauration de la flat tax.
Pour la Sécu, les conséquences furent structurelles. Comme le prévoyaitl'administration l'an dernier, cette réduction de cotisations sociales couplée à une hausse massive de la CSG "augmente les recettes des régimes de base et du Fond de Solidarité Vieillesse alors qu’elle diminue celles de l’UNEDIC", c'est-à-dire de l'indemnisation chômage. En d'autres termes, par ce tour de passe-passe, les comptes des branches santé et vieillesse récupéraient davantage de financement, alors que l'assurance chômage se trouvait déstabilisée.
Un an plus tard, nous voici en septembre 2018. Nulle surprise à voir le gouvernement réclamer plus d'un milliard d'euros d'économie annuels aux partenaires sociaux qui gèrent l'UNEDIC. La boucle est bouclée.
Jeudi, la ministre Muriel Pénicaud, qui attend toujours sa mise en examen pour favoritisme du temps où elle gaspillait de l'argent public pour les soutenir les premiers pas de la candidature Macron, dévoile enfin son objectif austéritaire - 3,6 milliards sur les 3 prochaines années.
Moins d'un chômeur sur deux est indemnisé par l'UNEDIC, rappelons-le. Non seulement les chômeurs vont morfler, mais c'est aussi le signe de l'échec d'une politique. La reprise économique n'a pas eu lieu.
Le "ruissellement" des énormes cadeaux fiscaux à quelques centaines de milliers de foyers ultra-riches et des exonérations de contribution sociale sans contrepartie n'a pas eu lieu. Le chômage ne baisse pas, voir il augmente. L'emploi intérimaire a perdu de son dynamisme. La dernière mesure sarkozyste annoncée en fanfare début septembre - l'exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires, ira aggraver la situation des comptes sociaux tout en décourageant l'embauche comme lors du quinquennat Sarkozy.
Il faut resituer la lâche petite phrase de mépris d'Emmanuel Macron sur les chômeurs dans le contexte de ces annonces Pénicaud. A un jeune horticulteur au chômage qu'il croise dans les Jardins de l'Elysée le jour de l'ouverture au public pour les Journées du patrimoine, il le sermonne et lui conseille de traverser la rue pour faire la plonge.
"Vous allez à Montparnasse par exemple… Honnêtement, hôtel, café, restaurant, je traverse la rue, je vous en trouve !. " Emmanuel Macron, 16 septembre 2018
Cette petite phrase méprisante fera une semaine de polémiques, mais elle rappelle surtout l'agenda politique macroniste: les chômeurs n'ont qu'à se bouger.
Ami macroniste "de gauche", mais qui donc es-tu ?