Dimanche, l'actualité du triathlon fut particulièrement intense. A Nice, victoire d'Alexandra Louison, deuxième place de mon ami Gilles Reboul, troisième place de Patrick Bringer. A Dunkerque, victoire de Fred Belaubre, notre grand espoir olympique sur le Grand Prix pour sa première course officielle depuis longtemps A Zurich, l'Ironman avec la présence de Laurent Jalabert. Sans oublier Roth bien sûr. Bref que du lourd...
Alors dans un monde idéal, il y aurait eu une pleine page dans le journal. Mais bon, ça, faut arrêter de rêver... Le journal n'est pas extensible et le triathlon n'intéresse quand même qu'une infime part du lectorat. Le vrai fan attendra la sortie de la presse spécialisée ou ira sur internet. Il a donc fallu faire des choix. Et comme dans la vie en générale, c'est souvent compliqué et parfois même douloureux, mais c'est inévitable.
Au regard des différentes performances, j'ai réussi à récupérer un peu d'espace supplémentaire pour le triathlon et me suis donc retrouvé avec deux colonnes à remplir dans le journal du lundi. Il fut décidé (au-dessus de moi) qu'il fallait une photo de Jalabert. Décision logique au regard de ce qu'on avait fait dans l'édition du dimanche avec pratiquement une pleine page consacrée aux débuts en tri de Jaja (papier posté sur onlinetri, en lien ICI). ça s'appelle du suivi de l'information. D'autant plus que la présence de l'ancien cycliste sur un Ironman n'est quand même pas quelque chose d'ordinaire. Fortement médiatisée, sa participation allait forcément engendrer un intérêt et le journal se doit donc de répondre à la question et d'informer précisément le lecteur lambda qui s'est dit lundi matin : "tiens il parait que Jaja a fait un Ironman... J'ai vu ça à la télé hier soir."Dans le même temps, Belaubre effectuait un retour tonitruant à Dunkerque. Même si, comme moi, on a l'esprit davantage orienté vers le longue distance, Belaubre est tout de même un grand espoir de médaille pour les Jeux et commence à avoir un palmarès plutôt conséquent avec deux titres européens, une 3e place aux Mondiaux et une 5e aux JO d'Athènes. De plus, L'Equipe a toujours donné une part importante aux sports olympiques. J'ai donc décidé de donner la priorité à la victoire de Belaubre pour ouvrir la rubrique triathlon. Avec tout ça, il ne restait plus beaucoup de place dispo sachant qu'il faut aussi en garder un peu pour donner les résultats.
L'Ironman de Nice, et en premier lieu Alexandra Louison, a donc fait les frais de l'opération avec seulement quelques lignes bien légères j'en conviens au regard de sa performance (c'est pas tous les jours qu'une Française gagne un Ironman). Un dimanche "ordinaire", elle aurait eu droit à beaucoup plus, c'est une évidence. C'est un peu comme un mec qui décrocherait une médaille de bronze aux Jeux olympiques. S'il l'obtient un jour où c'est la seule médaille française, il aura droit à une page et peut-être même à la Une. Si c'est le jour où Doucouré, ou Manaudou, pête une perf', eh bien notre pauvre tireur, sera relégué loin dans le journal ou dans les émissions télé et aura une place réduite. C'est injuste, mais c'est comme ça.Quand on est passionné et à fond dans son truc, on a toujours l'impression que le moment que l'on vit est exceptionnel et mériterait toute l'attention des médias. Mais combien de gens dans la rue savent en ce début de semaine que ce 24 juin était "extraordinaire" pour les triathlètes ? La problématique est la même pour tous les "petits" sports et même pour beaucoup de sports bien plus importants que le triathlon.
Au niveau de la télé, certains regrettent sans doute que Gérard Holz n'ait absolument pas parlé de Nice dimanche dans Stade 2. C'est vrai, il n'y en eut que pour Jalabert "seulement 22e , même pas triathlète et en plus au passé douteux" diront certains. Certes. Mais au moins on a parlé de triathlon à la télé dans une émission à grande écoute. Nicolas Geay (Nico) a réussi une vraie perf' en réalisant un duplex en live pour du triathlon.Alors oui, on peut toujours se plaindre. Mais il faut rester lucide et surtout vivre avec son époque. Cette "peoplelisation" du sport est sans doute regrettable mais elle est hélas devenue incontournable pour des grands médias qui se doivent d'avoir de l'audience ou de vendre des journaux. Etant inévitable, il s'agit ensuite de savoir utiliser cette "peoplelisation" pour des valeurs plus "nobles". Que ce soit Nico ou moi, nous avons la chance de travailler dans de grands médias nationaux qui ont un réel impact. Nous essayons d'utiliser notre position pour faire parler du sport que nous aimons et que nous voulons partager. Mais vous ne pouvez pas imaginer à quel point c'est difficile dans des supports comme les nôtres. Le sujet de Nico sur Stade 2 a fait parler du triathlon comme rarement. Au journal, beaucoup de monde, y compris mes chefs, m'ont parlé de triathlon. Ces sujets sur Stade 2 et cette page dans L'Equipe sont des étapes importantes dans nos médias respectifs. Des étapes qui nous permettront de caser plus facilement par la suite des sujets sur les "vrais" triathlètes. C'est comme ça que ça marche n'en déplaise à certains. Je suis bien entendu d'accord avec Boulegan qui, sur onlinetri, écrit qu'il y a des dizaines de triathlètes pros qui méritent davantage qu'on parle d'eux. Mais aujourd'hui, ces gens ne représentent strictement rien sur l'échelle médiatique sportive "généraliste". Et c'est en passant par des sujets sur Jaja ou sur tartanpion-un-peu-people qui fait un découverte que l'on pourra plus tard parler des autres. C'est en passant par l'extra-ordinaire que l'on pourra ensuite ouvrir sur "l'ordinaire". Le triathlon est un sport jeune et encore peu de gens dans la rue sont même capables de citer les trois sports, alors un peu de patience.
Je suis d'accord avec Braziou (ben si c'est possible), si Jaja fait Hawaii, on en parlera. Même beaucoup plus probablement que de Xavier Le Floch ou Patrick Vernay qui joueront pourtant le top 10 voire mieux.Beaucoup plus même que si Belaubre devient champion du monde (mais moins que s'il est champion olympique). Sportivement dommage mais médiatiquement et promotionnellement bienvenu.
Concernant Jalabert, je peux vous assurer que cette médiatisation n'était absolument pas recherchée et que ça avait même tendance à le gaver plus qu'autre chose car dans son esprit, il tenait avant tout à être "comme les autres". D'où son refus d'avoir un dossard pro comme l'organisation lui proposait (et pas pour une question de slot car de toute façon, il aurait eu une wild-card). Il m'a laissé un message samedi très marrant. On aurait dit n'importe quel triathlète lambda qui se lançait dans un Ironman. Loin, très très loin de l'image d'un sportif de haut niveau. Samedi, Jaja avait le stress qui montait, ne savait plus ce qu'il fallait faire ou ne pas faire avant. Mais il a conclu son message par : "mais demain, il parait que je serai un autre homme... un homme de fer". La même pensée, le même rêve que la plupart des concurrents.