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Sonate d’automne. Art de la lumière

Par Balndorn
Sonate d’automne. Art de la lumière
Résumé : Charlotte, ancienne pianiste de renommée internationale, est invitée à passer quelques jours chez sa fille Eva, qu’elle n’a pas vue depuis sept ans. Cette dernière est mariée à un pasteur de campagne et passe ses journées à s’occuper de sa sœur, handicapée mentale, que leur mère avait placée dans une institution. Les retrouvailles entre Charlotte et Eva vont vite tourner au règlement de comptes…
La petite fenêtre éclaire maigrement la pièce carrée et silencieuse où se tassent les figures. La timide lueur esquisse dans l’ombre les silhouettes de personnages entr’aperçues de dos, de loin. Tous les regards convergent vers cette fenêtre, ligne de fuite qui ne débouche sur rien, sinon un mur. On dirait un Vermeer mais c’est un Bergman. Et plus précisément, Sonate d’automne, huis-clos féminin où la peinture néerlandaise du XVIIesiècle nourrit l’expression cinématographique des rancœurs et des souvenirs.
Des portraits intimes…
Avec Sonate d’automne, l’auteur suédois pense en artiste polymorphe. À la fois cinéaste, directeur d’acteurs, régisseur et peintre. Une maître-question innerve toute la mise en scène : comment faire du décor le lieu d’extériorisation de paroles taboues contenues depuis des années ?À partir de là, les réponses formelles foisonnent. Dans le jeu des actrices d’abord, des plus émouvants. Charlotte (Ingrid Bergman), pianiste de renommée internationale, éblouit par son orgueil et son égocentrisme. L’expansion incarnée. À l’exact opposé du champ des caractères se situe sa fille, Eva (Liv Ullmann), femme modeste mariée à un pasteur (Halvar Bjork), dont elle confesse qu’il est plus l’ami que l’amant. Dans le décor de maison de poupée où elle vit entourée de souvenirs et de petites attentions, elle se cache, fuit le combat que lui propose sa mère par sa seule présence. Et pourtant, elle finira par craquer ; et tous les remords accumulés depuis tant d’années jailliront sans éclat, sans passion, comme Eva l’a toujours fait.La montée en puissance du personnage d’Eva s’accompagne d’un choix de cadrage. À mesure que la fille abandonnée ose s’insurger contre la mère absente, la caméra se resserre sur les visages, multiplie les gros plans et les champ-contrechamps, dessinant un champ de bataille dans la maison de poupée. La haine se lit à fleur de peau et d’écran. Plus près de l’objectif, les mots gagnent en impact, en cruauté, en désamour. Dans le laboratoire du gros plan, les passions se mêlent et les cœurs s’épanchent, aboutissant parfois à de surprenantes images, comme ce plan, parmi les plus beaux du film, où la mère et la fille, regardant chacun d’un côté de la pièce, se parlent à elles-mêmes, puisque brisées, elles ne peuvent plus rien se dire.
… diffractés par la lumière
Ce recadrage intimiste va de pair avec le type de scènes évoqué au début. Ces dernières correspondent à l’espace des souvenirs – qu’ils soient de de Charlotte, d’Eva ou de sa sœur handicapée Helena (Lena Nyman). Un lieu carré, catégorisé, délimité – où rien ne se passe, puisqu’on l’a relégué (ou étouffé ?) au fond de la mémoire.Pourtant, brisant l’intrigue linéaire, ces flash-backs réels etfantasmés interrogent. Trop tranquilles, ils contiennent une faille. La faille du bricolage psychologique, par lequel chacun tente de colmater les brèches de son passé. Et cette faille prend visuellement l’aspect de la lumière qui nimbe timidement la pièce.C’est ici que Bergman rejoint les réflexions picturales de Vermeer. Le peintre néerlandais comme le cinéaste suédois utilisent la matière lumineuse pour disséquer des sentiments dont par nature, dans les arts plastiques, nous ne percevons que l’extériorité. À la lumière, Bergman ajoute la voix, par définition invisible en peinture mais si touchante au cinéma. Le traitement de la lumière dans Sonate d’automne pointe du doigt un problème majeur des arts plastiques : comment rendre sensible – et donc extérioriser – un drame intérieur ? À ce grand problème esth-éthique, Bergman n’apporte bien entendu pas de réponse catégorique. Mais son usage délicat de la lumière en est une suggestion. Vus de loin, à travers des rangées de dos et d’obstacles, les rayons lumineux qui parviennent au spectateur délimitent autant qu’ils brouillent les contours des objets et des personnes qu’ils rencontrent.Il n’y a pas d’unicité de la psychologie humaine. Comme la lumière, comme la voix, toute psyché déborde, s’étend, coule plus ou moins paisiblement hors de son enveloppe charnelle. Et c’est cet instant précis, cette expansion des sentiments hors de soi si difficile à percevoir dans la vie quotidienne, qu’Ingmar Bergman capte avec tant de virtuosité dans Sonate d’automne.
Sonate d’automne. Art de la lumièreSonate d’automne, Ingmar Bergman, 1h34, (1978), ressortie 2018 
Maxime
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