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Donbass. Le cinéma n’est pas du bashing

Par Balndorn

Donbass. Le cinéma n’est pas du bashing
Résumé : Dans le Donbass, région de l'est de l'Ukraine, une guerre hybride mêle conflit armé ouvert, crimes et saccages perpétrés par des gangs séparatistes.
Dans le Donbass, la guerre s'appelle la paix, la propagande est érigée en vérité et la haine prétend être l'amour.
Un périple à travers le Donbass, c’est un enchainement d’aventures folles, dans lesquelles le grotesque et le tragique se mêlent comme la vie et la mort.

Qu’est-ce qui relève du cinéma, qu’est-ce qui relève du bashing ? Prenons deux films sortis à un mois d’intervalle. Le premier, BlacKkKlansman, réussit le pari de taper sur Donald Trump en faisant rire. Le second, Donbass, ne tape pas sur les insurgés du Donbass et leur voisin de l’Est : il les atomise – et ça ne fait ni rire ni plaisir.
Les soldats qui criaient au fascisme
Il faut dire que Sergei Loznitsa n’y va pas de main morte. Dès le premier plan du film, un intertitre précise que la scène se passe en « Ukraine orientale, territoire occupé ». Certes, on peut comprendre que le cinéaste originaire de Kiev et attaché à sa ville ressente de la colère vis-à-vis des insurgés du Donbass ; certes, on peut comme lui se douter que la Russie y ait envoyé des troupes soutenir les rebelles ; mais de là à nier tout caractère insurrectionnel au Donbass et à n’y voir qu’une occupation militaire par les Russes, il y a un pas que tout film devrait se garder de franchir aussi aisément.Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de nier la probable intervention russe et les agissements des autorités du Donbass, mais de critiquer la manière dont un réalisateur ouvertement pro-occidental représente un conflit dans son propre pays.Et ce type de représentation, on pourrait le définir, pour reprendre une réplique culte de Brice de Nice, comme un effet « miroir miroir ». Ce qui donne, dans le contexte belliciste de Donbass : « Celui qui crie au fasciste est un fasciste ». Les officiels de l’autoproclamée République populaire – politiques comme policiers – ne cessent en effet de justifier leurs actions au nom de la lutte contre le fascisme, aussi bien celle que menèrent leurs grands-pères face à l’Allemagne nazie que la leur contre la prétendue menace fasciste issue de la révolution de Maïdan début 2014. Pour mener à bien la résistance, ils n’hésitent pas à enrôler de force des jeunes hommes dans un bus, à réquisitionner et à escroquer un innocent chef d’entreprise, etc…Bref, toute personne ayant collaboré avec la République populaire est aux yeux de Loznitsa un être essentiellement mauvais. Cette approche morale d’un problème politique se lit dans le montage. La narration, résolument anti-linéaire, fonctionne comme un ensemble de saynètes morales liées les unes aux autres par le chassé-croisé des personnages qui, prises dans leur globalité, prouvent la malignité des traîtres du Donbass. Telles les Fables de La Fontaine, les séquences brossent à grands traits des types moraux : le beau parleur qui sait embobiner le personnel d’une maternité en grève pour protéger son ami le directeur qui en détournait les fonds ; le député qui se préoccupe davantage de ses trafics para-légaux que de la politique locale ; les soldats qui prennent plaisir à donner le bâton à l’un de leurs camarades… En somme, les soldats sont des brutes, les policiers des voleurs et les autorités politiques des corrompus. Effet miroir miroir.
La morale plutôt que la politique
Qu’est-ce qui fait la différence avec BlacKkKlansman ? D’une part, la distance avec le sujet. Alors que Spike Lee cultive une esthétique propre au film de genre, avec des cadrages larges et particulièrement éclairés, Sergei Loznitsa cherche à coller le plus possible à la « réalité » par un style pseudo-documentaire. Témoin une scène difficile à regarder non par l’horreur qu’elle suscite (on voit simplement des gens courir pour monter un faux reportage télévisuel), mais parce qu’une caméra à l’épaule aussi mal tenue crée une image instable et propice au mal de tête. En voulant trop adhérer à la réalité – dont on voit pourtant à quel point il en grossit les traits –, le cinéaste présente un film aussi crade que la zone de guerre qu’il filme.Deuxièmement – et c’est ce qui manque aussi à Spike Lee – : une finesse dans l’analyse socio-politique. À vouloir transformer l’ensemble des acteurs en archétypes moraux, Loznitsa efface les raisons de leur colère. Qu’on soutienne ou non les insurgés du Donbass, il faut bien leur reconnaître qu’ils ont un moment donné décidé de prendre les armes, et qu’ils avaient donc des motifs pour justifier leur sécession politique. Or, en les présentant de manière aussi manichéenne, l’auteur leur interdit toute autonomie de la conscience, et accrédite ainsi la thèse en vigueur en Europe de l’Ouest d’une rébellion intégralement impulsée par le méchant Vladimir Poutine. Ciao les considérations sociales et économiques, bonjour la guerre froide.On en vient donc à la question cruciale : à qui est destiné ce film ? Certainement pas aux Ukrainiens, ou alors seulement l’élite pro-occidentale. C’est davantage à l’Europe de l’Ouest que s’adresse Donbass. Tel le miroir magique de Blanche-Neige, le film montre aux Européens ce qu’ils souhaitent voir : le spectre d’une Russie nationaliste prête à tout pour conquérir l’Europe. Est-on encore dans du cinéma, ou dans la propagande ?
Donbass. Le cinéma n’est pas du bashing
Donbass, Sergei Loznitsa, 2018, 2h01
Maxime
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