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Par Gentlemanw

De moi, il n'avait laissé que cette série d'empreintes, noires sur un fond blanc. Traces uniques d'une personne, résumé extrême d'une vie, ultimes résidus d'un corps, mon existence se retrouvait ici, dans ce bureau froid, sur un document officiel, ce simple passeport. Nom, prénom, sexe, date de naissance, lieu de naissance, voilà au-delà de mes traces ce que j'étais, du moins ce qu'il croyais que j'étais. Dans une matrice conventionnelle, je devais être dans une des cases.

Et pourtant le flou existait, à la première minute quand ce fonctionnaire d'état-civil était venu vers la jeune femme assise à côté de moi, pour des papiers, en prononçant mon nom, mon prénom. Face au refus, il avait alors tourné la tête dans le vide dans cette salle d'attente, comme si je n'étais pas là, comme une plante supplémentaire dans les pots plastiques blancs. Je m'étais levé vers lui, face à son interrogation, face à ce début d'incompréhension.

Moi, mademoiselle, je n'étais pas celle qu'il attendait. Et cela durait depuis ma plus tendre enfance. J'étais bien humain, avec deux pieds et deux bras, un corps complet sans aucun manque, enfin si peut-être. Des cheveux longs pour plus facilement assimilé une présence de féminité, un rouge à lèvres bien carmin pour amplifier la véracité de mon statut sexuel, mais je n'avais rien de cela. J'étais moi, sans ces repères, sans les avoir jamais ressenti comme m'appartenant, comme un chemin possible d'évolution de mon enfance vers mon adolescence, vers mon statut d'adultes. Les années avaient défilé, souvent dans la souffrance lente d'attendre demain sans voir la maturité arriver assez vite. Sans rien attendre non plus.

Mes deux grandes soeurs, mon grand frère étaient pourtant si proches, si prévenant avec le bébé que j'étais, eux si grands déjà, au collège, bientôt au lycée. Maman avait changé de mari, offrant un cadeau d'amour à sa nouvelle vie. Moi.

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Une fille, une charmante petite fille, et pourtant, assez vite, j'ai donné mon avis, j'ai préféré être moi, tout simplement sans distinction, sans rien analyser. Juste des goûts, pour les pantalons, sans réel dégoût pour les petits collants blancs et mes robes d'été, j'aimais tant l'école et les copains, les copines aussi. Ce fût plus compliqué quand un jour, la maîtresse a formé des groupes pour des activités. Des choses pour les garçons, pour les filles, cela existait encore, comme si le monde se devait d'être normé sexuellement dans les passions, les sports et surtout à l'avenir les métiers. J'étais pas en rébellion, pas encore du moins, juste perdu car moi, je n'étais pas avec eux, je ne me retrouvais pas dans aucun groupe, du moins avec leurs critères. Une instabilité lié à des choix impossibles, je n'étais pas à ma place. Au gré des rencontres, je me suis fait des amitiés, des désamours, des ennemis en particulier avec ma non-appartenance à une tribu, à un groupe. Surtout quand le leader, cette personne au charisme envié, décidait de régner sur ses courtisans, créant des cases où jamais je n'aurai ma place. Forme incongrue pour rentrer dans leurs ronds ou carrés normatifs, triangles ou même octogones. Je n'étais pas bien pour eux, de plus en plus seule, seul peut-être.

Alors j'ai pris le recul, j'ai profité du cocon doux de ma famille, celui laissé par mes autres soeurs et frère. J'ai tant aimé ma tante, elle aussi en dehors des frontières idéales de ce clan, celle qui était différente, sans mari. Un jour, un voyage, un long week-end, je suis allé me balader avec elle pour une exposition dans sa ville. J'ai entendu ce mot pour la première fois de sa bouche, "homosexuelle", elle m'a donné sa version. Pas les pâles rumeurs sans raison des autres membres de la famille, les jugements et autres reproches, les remarques de colère des anciens, les délires de certaines autres. Je me suis sentie libérée d'un poids en comprenant sa vie, ses choix, ses doutes et surtout son amour pour "l'autre tante". Cette personne aperçue, non identifiée lorsque j'étais enfant, inconnue même, sans lien familial, et pourtant tout simplement sa compagne depuis de nombreuses années.

Mais au retour, je n'ai fait aucun lien avec moi, sauf sur les silences, sur les murmures autour de mon image. Car je n'avais pas de sexualité d'une part, mais que je n'avais même pas d'attirance pour d'autres, mâles ou femelles de mon espèce. J'avais surtout du mal à être moi, à me définir. Mon médecin, un vieil homme avait pourtant choisi de m'envoyer voir une de ses collègues, pour parler, pour "libérer mon corps" avait-il rajouté. Aucun jugement de sa part, juste une prise de conscience d'un point d'interrogation intérieur. J'avais pu parler avec elle, docteur,généraliste, psychiatre aussi. Et nous avions décidé de laisser cette liberté s'imposer sur ma silhouette.

S'habiller était un acte commun, voire anodin pour le quotidien. Mais alors j'avais deux images, celle que je renvoyais aux autres, celle que j'étais face au miroir. Sans être trop dur, mais sans vouloir ce maquillage, sans forcer les cheveux trop courts ou trop longs, sans calibrer à titre définitif ma possible androgynie. Grâce à elle, j'ai joué de cela, de pantalons amples à des jupes plus courtes, de chaussures plates à des talons si fins et si hauts. Je passais parfois de heures à essayer pour me voir, parfois me faire disparaître car ce n'était plus moi.

Aujourd'hui je me sens mieux, sans rouge sur les lèvres, dans ce costume trois pièces, avec ce chapeau masculin. Mais ne me demander pas qui je suis, car ne suis que moi. Avec ce dossier pour renouveler mon passeport sous le bras.

Nylonement

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