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Un Peuple et son roi. Du bruit et de la fureur dans l’Histoire

Par Balndorn
Un Peuple et son roi. Du bruit et de la fureur dans l’HistoireRésumé : En 1789, un peuple est entré en révolution. Écoutons-le. Il a des choses à nous dire. Un Peuple et son roi croise les destins d’hommes et de femmes du peuple, et de figures historiques. Leur lieu de rencontre est la toute jeune Assemblée nationale. Au cœur de l’histoire, il y a le sort du Roi et le surgissement de la République…

Entre la célébration du Bicentenaire de la Révolution française et Un Peuple et son roi, premier grand film consacré à la période depuis lors, à peine trente ans se sont écoulé. Et pourtant, au vu de la différence historiographique considérable entre les deux événements, on croirait à un écart d’un siècle. Comme si l’on passait de l’ombre à la lumière.
Une historiographie post-Bicentenaire
1989 marquait l’apogée de la lecture « libérale » de la Révolution française. Dominée par la figure de François Furet, auteur du très critique essai Penser la Révolution française, et, avec Mona Ozouf, du livre-somme Dictionnaire critique de la Révolution française, la nouvelle génération d’historien·ne·s entendait déconstruire la lecture socialiste de l’événement, qui traçait une continuité directe entre la Révolution française et la Révolution d’Octobre. Pour Furet, si continuité il y a, elle réside dans la préfiguration du totalitarisme stalinien que représente à ses yeux le moment 1793. Adieu donc la passion égalitaire des sans-culottes et des Montagnards, et vive les droits civiques et la propriété privée des libéraux de 89.Depuis, cette historiographie résolument anti-communiste a fait long feu – du moins dans les milieux scientifiques. Des historiens comme Jean-Clément Martin et Michel Vovelle (décédé la semaine passée) ont réhabilité 93 et démontré l’unicité de la Révolution[1]. Avec Un Peuple et son roi, Pierre Schoeller fait pour la première fois apparaître à l’écran des figures jusqu’alors exclues, à tout le moins marginalisées : les classes populaires, les femmes, les sensations.
Empouvoirement des femmes et des classes populaires
Des films sur la Révolution, il y en a la pelle. Mais le plus souvent, ils se concentrent sur des figures historiques individuelles (Danton, Beaumarchais, l’insolent), des figures romanesques (Les Mariés de l’An II), la détresse de la Cour (Marie-Antoinette, Les Adieux à la reine) ou reprennent la traditionnelle opposition 89/93 (La Révolution française, sorti au moment du Bicentenaire, à la gloire de Furet). Rarement aura-t-on vu le peuple et les femmes briller – et la lumière joue un rôle crucial dans Un Peuple et son roi – à ce point. Loin de se réduire aux masses passives tout juste bonnes à se charger du sale boulot des députés, les classes populaires y apparaissent enfin comme pleinement politisées. Des lavandières, comme Françoise (Adèle Haenel) et son amie Margot (Izïa Higelin), des vagabonds tel Basile (Gaspard Ulliel) ou des verriers comme l’Oncle (Olivier Gourmet) revendiquent, avec le langage flamboyant du Paris du XVIIIe, l’égalité politique et sociale pour tous, et la considération que l’Assemblée leur dénie. Pas besoin d’être noble ou propriétaire – ce serait presque le contraire – pour savoir ce dont a besoin le pays.Les femmes, elles aussi, reconquièrent leur rôle historique. Certes, elles sont mères ou épouses ; mais leur statut social ne les empêche pas de prendre une part active à la Révolution. Haranguée par Reine (Céline Sallette), une marchande des Halles, les Parisiennes s’en vont chercher le Roi et la Reine à Versailles pour les ramener aux Tuileries sous le contrôle de l’Assemblée – malgré le refus initial de celle-ci, peu désireuse de mêler la Cour aux « gens de peu ». Elles n’ont pas peur d’aller à la guerre non plus. C’est elles qu’on verra aller arracher les Tuileries aux Gardes Suisses le 10 août 1792 la lance au poing et le mousquet à la main. Et pourtant, en dépit de leur rôle majeur dans le renversement de l’Ancien Régime et la construction de la nouvelle société, on les considérera pendant encore longtemps – peut-être jusqu’aujourd’hui – « comme des enfants auxquels il faut tout dire ».
Un Peuple et son soleil
Mais si Un Peuple et son roi est un grand film, ce n’est pas seulement en raison de ses vertus historiographiques. En tant qu’œuvre cinématographique, il élabore un langage propre et puissant, qui mêle épique, dramatique et lyrique. Schoeller ne vise pas tant la fresque historique totale que des pulsations de vie, des reliquats d’une époque. D’où une narration elliptique, qui saute de moments en moments (le soir du 14 juillet 89, le mois d’octobre de la même année, l’été92, etc…) et court-circuite sciemment la continuité historique. Certes, ce type de récit perd en réalisme et en psychologie des personnages : on n’évoque ni les raisons du 14 juillet ni l’œuvre concrète de la première Assemblée Nationale. Mais il y gagne une force d’impact épique et lyrique : dans le chaos de l’Histoire en marche surgissent des figures étincelantes (Françoise, l’Oncle, Basile…) qui percutent de tout leur poids les forces conservatrices. Un choc des titans entre des masses bigarrées et d’un régime accroché à son rocher de privilèges. Et, dans la poussière du combat, se dessinent des fragments de sensations.C’est un autre pan de l’historiographie des trente dernières années que Schoeller met en avant. Dans la lignée d’Alain Corbin, d’Arlette Farge ou de Georges Vigarello, le cinéaste s’efforce de saisir des perceptions, des brins de sens. Dans le bruit et la fureur de l’histoire demeure une poéthique sensorielle. Politique et esthétique s’entremêlent, jusqu’à ne plus savoir laquelle guide, laquelle suit : une même fillette danse avec les flocons puis les plumes sorties des oreillers éventrés des Tuileries ; l’attaque dudit château s’effectue dans le silence des oreilles bouchées par le bruit des canons ; et surtout, l’un des plus beaux plans du film : les premiers rayons du soleil tombant sur le quartier de Saint-Antoine à mesure qu’on démolit la Bastille.Une riche symbolique autour de la lumière donne sa matière à l’œuvre. Elle se touche et se voit à la fois : comme Françoise invitée à « toucher le soleil » perçant la Bastille ; ou comme l’Oncle souffleur de verre palpant la perfection des globes qu’il crée. Voir et toucher, apparaître et rester dans l’ombre : deux pôles qui esquissent un spectre des sensations, allant des pauvres sans-culottes au roi sacré. Ainsi se tisse la relation liant « un peuple » et« son roi ». Un rapport ambigu, moins manichéen qu’il n’y paraît, où la déchéance de l’un n’amène pas nécessairement la pleine lumière de l’ombre.À notre époque d’attente révolutionnaire et d’impérialisme présidentiel, Un Peuple et son roi propose une image des plus captivantes de la nature du pouvoir.
Un Peuple et son roi. Du bruit et de la fureur dans l’Histoire
Un Peuple et son roi, Pierre Schoeller, 2018, 2h01 
Maxime
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[1]Pour plus d’informations sur les controverses historiographiques et les nouvelles manières d’approcher la Révolution française, je recommande vivement la longue série d’articles et de vidéos qu’a consacrée à ce sujet le site Veni Vidi Sensi.

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