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Résumé : Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.
« Ne m’appelle plus comme ça », dit-elle à son petit frère. « Ça », c’est Victor, le prénom de naissance que portait Lara (Victor Polster), avant qu’elle ne choisisse la voie de la féminité. « Ça », c’est balayé d’un revers de main. Si Girl, le premier long-métrage du Belge Lukas Dhont, a remporté la Caméra d’Or au festival Un certain regard en mai dernier à Cannes, c’est pour son approche nouvelle d’un sujet mille fois traité : finis, les conflits avec l’entourage, place à l’après-transidentité.
Présent idéal ou futur désirable ?
Lara possède tous les atours d’une certaine féminité (en partie fantasmée de sa part) : cheveux longs et blonds, robe et talons hauts, danse classique. Mais quelque chose l’obsède. C’est une broutille, une virgule, une cédille : la quéquette qui lui reste de son corps masculin. De ce résidu anecdotique elle fait une « troisième jambe ». Qui l’entrave dans chaque aspect de son existence : elle s’interdit les relations amoureuses et la promiscuité corporelle avec les autres filles du cours de danse tant que l’opération qu’elle désire tant n’aura pas eu lieu.Girl opte pour une double poéthique de l’après. D’une part, après le choix de Lara : le monde que dépeint le film est une situation idéale où tout le monde, du père bienveillant (Arieh Worthalter) aux camarades de classe sympathisants, a accepté sa nouvelle identité. Mais elle-même demeure dans l’expectative. Cet entre-deux ne la satisfait pas. Elle, elle souhaiterait un corps de femme complet. C’est le deuxième versant de la poéthique de l’après. Au beau milieu d’un présent où « tout va bien » (son père), elle se projette dans un avenir qu’elle fantasme largement. En témoignent les très beaux plans silencieux d’elle marchant dans la lumière dorée du soleil, en un pas cadencé – comme le ballet pour lequel elle exerce son corps – avec la musique d’un opéra. Comme un rêve.
Il faut souffrir pour être belle
Le futur travaille le présent, l’imaginaire la réalité. « Travail », au sens premier du terme : l’instrument de torture antique. De ce point de vue, l’exercice physique quotidien qu’elle s’impose par le ballet préfigure l’opération qu’elle attend. Il s’agit de modeler son corps raide selon la féminité qu’elle s’imagine. Alors elle ne lésine pas sur les moyens : orteils en sang après une séance de danse, sparadrap sur le sexe pour l’occulter, jusqu’au geste final. On n’aura rarement vu aussi bien illustrée la triste expression : « Il faut souffrir pour être belle » (ou désirer un certain type de beauté).Par cette mise en scène qui fétichise le corps (au centre de chaque plan, et souvent dénudé), Girl questionne le rapport de la jeunesse à son corps, au-delà de la seule question de la transidentité. La torture que s’impose Lara ressemble à s’y méprendre à de l’anorexie, avec qui elle partage les symptômes : perte de poids par refus de s’alimenter, destruction de son corps au nom d’un idéal, dépression au vu des maigres progrès obtenus pour tant d’efforts… Le cas de Lara met au jour une tendance sociale : le culte individualiste de l’apparence. Ce fantasme de toute-puissance qui fait croire qu’on peut tout changer, quand et comment on le souhaite. Or, il y a des limites à la volonté. Au travail physique de changement de soi correspond un travail psychologique d’acceptation de soi. Comme le dit son père : « Tu es une fille et tu veux devenir une femme d’un seul coup. Tu crois que moi, je suis passé de bébé à homme, comme ça ? »
Girl, Lukas Dhont, 2018, 1h40
Maxime
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