Catulle Mendès se plaint de la literie de son hôtel, mais l'adresse à deux pas du Théâtre de la Cour,
n'était pas si mauvaise que cela...
En 1869, Catulle Mendès, sa femme Judith Gautier et Villers de l'Isle-Adam arrivent un beau soir à Munich où ils vont séjourner pour trois semaines pour notamment assister à la création de l'Or du Rhin de Richard Wagner et y visiter l'Exposition internationale des arts décoratifs. Catulle Mendès publie ses notes de voyage dans le quotidien parisien Le National. Voici sa sixième note, dans laquelle il fait le récit de leur première journée munichoise:
VI LES PREMIERS INCONVÉNIENTS
La porte cria :
- Pan! pan !
Mal réveillé, mais vaguement traversé de l'idée que nous étions couché dans une chambre de la Maximilianstrasse, à Munich, et non dans notre petite maison de Neuilly, près Paris, nous répondîmes:
- Herein !
Beppy entra. Beppy, c'est la bonne. Elle nous apportait de la part de la police muniquoise [sic] une feuille de papier divisée en une foule de petits carrés et où il était nécessaire que nous inscrivions nos nom, prénoms et profession.
Non sans quelque courroux d'être réveillé avant le jour, - il n'était encore que midi -, nous nous saisîmes de la plume que Beppy nous offrait en même temps que la feuille de papier, et, levant nos genoux vers notre menton, nous nous disposâmes à obtempérer aux voeux de la loi.
Un jour, un de nos amis. arrivant le soir dans une auberge, fut prié de s'inscrire sur le registre des étrangers. Il prit la plume en souriant. Mais à peine avait-il tracé quelques syllabes qu'un violent patatras se fit entendre derrière lui : le garçon qui tenait l'encrier s'était évanoui sur un grand tas de chaises accumulées et se tenait parmi les barreaux enchevêtrés. Notre ami continuait de sourire: Il avait écrit sur le livre d'une délicate écriture de femme, ces simples mots : " Stéphane Mallarmé, bourreau. " On le mit à la porte.
- J'y comptais bien, nous disait-il en nous racontant cette folie; 1'odeur qui sortait de la cuisine ne m'avait pas plu.
Plus sincère que notre ami, nous n'hésitâmes pas a avouer humblement notre qualité d'homme de lettres, et, la chose faite, nous allons nous retourner du côté du mur et reprendre notre somme interrompu, lorsque Beppy s'écria :
- Mais, monsieur, vous oubliez le plus important ! Et elle nous montra quelques petits carrés que nous avions omis de remplir et au-dessus desquels on lisait les diverses interrogations que voici :
- Quel âge a le voyageur ? - Quelle est sa religion? - Est-il marié, célibataire ou veuf ? - A-t-il encore des parents ? - Quels sont l'âge, la profession, la religion et la fortune de ses pères et mères? - A-t-il des frères et des sœurs? Sont-ils mariés, célibataires ou veufs ? Ont-ils des enfants? Quel est l'âge de ces enfants ? Etc., etc.
- Mademoiselle ! criâmes-nous en nous asseyant sur notre lit, laissez-nous dormir, et dites à la police un peu trop curieuse de votre patrie que nous comptons écrire nos mémoires dans quinze ou vingt ans, que nous ne manquerons pas de lui en faire envoyer un exemplaire sur beau papier, contre remboursement. - Au moins, monsieur, dites quelle est votre religion, supplia Beppy, qui a de vilaines mains, mais de très jolis yeux. - Nous sommes bouddhistes, répondîmes-nous avec une fureur mal apaisée par le regard de Beppy.
Elle prit sans doute notre réponse, qu'elle ne comprit pas, pour une grave injure, car elle s'éloigna d'un air blessé, et nous entendîmes avec satisfaction se refermer la porte de notre chambre.
Mais il était écrit que nous ne nous rendormirions pas encore. Notre ami Villiers de l'Isle-Adam fit irruption dans notre appartement et sa laissa choir sur une chaise, près de notre lit, avec un air de désolation profonde.
- Où sommes-nous? murmura-t-il lentement - Mais, à Munich, selon toute apparence. - Oui, mais qu'est-ce que c'est Munich? - La capitale de la Bavière. - Tu ne m'entends pas . Qu'y a-t-il de remarquable dans cette capitale? - D'abord un jeune roi, beau comme le prince Charmant des contes de fées, farouche comme Hippolyte de la tragédie antique, qui aime son pays comme s'il n'en était pas le maître et qui a pour tous les arts une passion profonde et efficace. - Soit! mais ensuite? - Ensuite, il y a la Pinacothèque, qui est un joli monument plein de tableaux fort agréables, une bibliothèque à rendre jalouses les bibliothèques même de Paris et de Rome, et enfin, et surtout un théâtre on l'on joue les oeuvres de Richard Wagner. - Tu le fais exprès. Est-ce que Munich n'est pas célèbre d'un pôle à l'autre par sa bière ? - Sans doute. - Eh bien ! il y a un instant, pris du désir de connaître enfin cette liqueur, je me suis dirigé vers un café. - Sans moi ? égoïste! - Je me suis assis dans l'allée d'une porte cochère, car les cafés à Munich occupent la place où apparaissent en France les loges de concierge, et j'ai demandé un verre de bière.
- Mais, comme tu ne parles pas l'allemand, on ne t'a pas compris. - J'ai parlé allemand, dit Villiers de l'Isle-Adam avec un air de triomphe. Je m'étais préparé par de longues études à mon entrée dans la brasserie. J'ai su dire : " Geben sie mir ein Glas Bier! " - En ce cas, on t'a apporté une vaste chope de cristal, munie d'un couvercle d'acier sur lequel est peint un myosotis, et remplie d'une liqueur d'or écumeuse de neige. - On m'a apporté une tasse de café an lait. - On t'avait mal entendu. - C'est ce que je me suis dit. Je suis allé dans une autre brasserie. Même demande : " Ein Glass [sic] Bier, " , même réponse: Une tasse de café. Ah ! mon ami, c'en est fait de tous les rêves et de toutes les illusions ! Il n'y a pas de bière à Munich ! Nous éclatâmes de rire. - Laisse-nous dormir pendant quelques heures; puis nous irons ensemble à la découverte d'une chope.
Trois heures plus tard, reposé autant qu'on peut l'être par un bon sommeil dans un mauvais lit, nous nous promenions à travers Munich.
München, comme on dit en allemand, est une grande ville aux rues spacieuses, aux maisons monumentales. Il y a de la raideur et de la froideur dans la disposition rectangulaire des édifices: mais un formidable soleil inonde et brûle les murs et les pavés. On dirait d'une cité calme du Nord tout à coup transportée par un signe magique dans les environs de la ligne équinoxale. Les personnes qui passent dans la rue semblent elles-mêmes douées d'une double nature: leur attitude est grave, presque morne, comme celle des gens de l'extrême septentrion, mais leur parole est vive et ardente comma la parole des Méridionaux. Les hommes sont en général vêtus de toile blanche et les femmes de mousseline; mais les hommes et les femmes portent presque tous sur le bras d'épais manteaux de fourrure. C'est que Munich, où l'on étouffe pendant l'après-midi, est glaciale le soir; et il semble, quand le crépuscule tombe, qu'on passe brusquement de la Terre-de-Feu au pays des Patagons.
D'ailleurs, une vraie capitale : le luxe, la vie, la joie abondent. Que la pauvreté fasse ici comme ailleurs une lugubre antithèse au bien-être apparent, c'est possible; mais elle se cache. Les visages des plus humbles sourient ; les blouses sont propres ; les plus petites maisons ont l'air confortable. Nous n'avons pas vu une seule fois le bout de l'oreille de la misère. ce renard qui dévore la poitrine de ces spartiates qu'on appelle les misérables.
Chemin faisant, nous avions dîné dans une Restauration, et, comme la nuit venait, nous entrâmes chaudement enveloppés de nos plus lourds paletots, dans un jardin où un orchestre, fort satisfaisant, ma foi, exécutait une romance sans paroles de Sébastien Bach. Rien de plus divertissant qu'un jardin de brasserie à Munich. Mille tables couvertes de nappes blanches sont inondées de lumière par des lanternes suspendues entre les branches des arbres. Des familles, graves à la fois et joyeuses, entourent de larges portions de veau rôti et d'énormes chopes de bière. Un murmure gai s'élève de tous les groupes, et l'on se dit : " Ces bons Allemands ! " Pas de garçons de café. Au lieu des vestes noires et des tabliers blancs qui attristent Paris, on voit aller, venir, courir autour des consommateurs de jolies filles aux bras nus (car les femmes sont fort jolies à Munich, surtout les femmes du peuple); elles rient, elles jasent, se moquent un peu, et le service ne va pas plus mal, et si, par hasard, la chope, en faisant son trajet rapide de la tonne à votre table, a laissé un peu de sa mousse blanche sur la main qui la porte, on se console en remarquant que ce n'est pas un gros pouce noir qui s'est fourré dans votre verre.
De temps en temps, on fait silence. C'est quand l'orchestre joue. Oh! que vous êtes loin, chansons sinistres de Thérésa (1)! que vous êtes loin air des Pompiers de Nanterre (2)! Les braves Muniquois entendent chaque soir des symphonies de Beethoven, des menuets de Mozart, des fragments des opéras de Wagner ; et ils ne s'en portent pas plus mal.
Nous nous assîmes devant une table et nous demandâmes qu'on nous servît du café. Quelque chose grouilla sous notre chaise, parmi nos jambes. C'était un chien que nous avions dérangé et qui grognait
Les chiens de Munich méritent une mention particulière. E remarquez que nous n'avons rien de commun avec ce voyageur, qui ayant rencontré une femme agrémentée d'une bosse, se hâta d'écrire sur son carnet : " Dans ce pays, toutes les femmes sont bossues: " Non, nous n'avons pas vu qu'un seul chien à Munich; nous en avons vu dix, et nous pouvons vous affirmer que nous n'en avions jamais vu de pareils. Leur race? Demandez-moi de quelle nature sont les habitants de Mercure ou de Neptune, mais ne me demandez pas demandez pas la race des chiens de Munich! La tête poilue. la corps rasé, Ils tiennent du lion, de l'antilope . de l'hippopotame et de la chauve-souris. Quant à leur face, elle est humaine et souverainement comique. Des moustaches, ils en ont comme vous et moi. Ils clignent l’œil d‘un air malin sous une touffe de sourcils hérissés: assis sur le derrière, ils regardent passer les personnes et se communiquent les uns aux autres de malicieuses réflexions.
J'en ai rencontré deux ou trois qui ressemblaient à s'y méprendre à deux ou trois des hommes les plus spirituels de Paris. Mais ce sont de braves bêtes. L'un d'eux, à qui j'offrais un morceau de sucre, l'accepta, mais alla le donner à un de ses camarades qui n'avait pas osé s'approcher de nous.
Cependant une grasse et belle personne nous avait servi deux verres de bière. Villiers de 1'Isle-Adam ne retint pas un mouvement de surprise. Sachant un peu d'allemand, nous intervînmes.
- Mademoiselle, nous vous avons demandé deux tasses de café, et non pas deux verres de bière. - Il n'y a pas de café. - Pardonnez-nous si nous insistons, mademoiselle, mais vous nous étonnez. Ce matin même, on a servi du café à notre ami. Seriez-vous assez bonne pour nous expliquer s'il existe quelque ordonnance de police ou quelque règle d'hygiène commandant de donner de la bière aux personnes qui demandent du café et réciproquement? - Ah! je ne sais pas, dit-elle; le matin, on boit du café, et, le soir, On boit de la bière. Voilà.
Là-dessus la belle personne nous tourna le dos. Le matin, on boit du café, et le soir, on boit de la bière. C'était à prendre ou à laisser : nous prîmes. La bière était excellente.
(1) Désirée Emma Valladon, dite Thérésa, née à La Bazoche-Gouët (Eure-et-Loir) le 7 septembre 18372 et morte à Neufchâtel-en-Saosnois (Sarthe) le 14 mai 1913, est une chanteuse de cabaret française. Surnommée par certains « la muse de la voyoucratie » et « la diva du ruisseau » en raison de ses origines modestes, elle est considérée comme l'une des artistes à qui l'on doit la naissance de l'Industrie du spectacle en France.
(2) Chanson fort oubliée dont voici les paroles:
Les Pompiers de Nanterre
Je viens chanter, belles de France, Un corps charmant, plein de vaillance, C't'auguste corps, c'est les pompiers, Qui d' Nanterre, est les brav's troupiers ! Ce corps-là, sacrebleu ! Bien qu'il éteign' les flammes, Dans l' cœur des plus bell's fâmes Tous les jours il met l' feu !
Quand ces beaux pompiers vont à l'exercice Pleins d'un'nobl'ardeur, faut les admirer ; Ils embrass'nt d'abord leur femm' et leur fisse, Puis, sans murmurer, dans Nanterre ils vont manœuvrer. Tzim la i la, tzim la i la , les beaux militaires, Tzim la i la, tzim la i la , que ces pompiers-là ! Tzim la i la, tzim la i la , les beaux militaires, Tzim la i la, tzim la i la , que ces pompiers-là !
Rien n'a jamais pu le corrompre : N'aimant que la France ...et sa pompe ; Les jours de r'vu', fier comme un roi, Dedans les rangs, il marche droit. Au retour, il s'permet Le nectar...hygiénique : Un pompier, ça s'explique Doit avoir un plumet.
Jadis, faut-il croire nos pères ? Les rois s'mariaient à des bergères ! D'même, le pompier, qu'est bien planté Il peut prétendre aux dignités : A preuve l'grand Gauthier Qui vient, la s'main' dernière, D'épouser l'héritière D'Andouillet l' chertuitier
Comme un n'héros, dans l'incendie, Risquant ses jours... même sa vie ! Pour extirper l'humanité De la ...combustibilité. Pas besoin d'leur crier Dans la bouillante lave : Canarad', soyez brave Comm' césar et...pompez !!!
C'est, à Nanterre, un vieil usage, Bon an, mal an, une fill' sage Doit, comm' rosièr's'fair' couronner, Des fois...on n'en peut pas trouver : Dans c'cas ,l'corps des pompiers, Il peut se mettre en ligne, Plus d'un... honneur insigne ! S'rait dign' d'être...rosier !