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Fog. Les brumes de l’Histoire

Par Balndorn

Fog. Les brumes de l’Histoire
 
Résumé : En Californie, le port d’Antonio Bay fête son centenaire. La légende raconte que les marins d’un navire naufragé un siècle auparavant, reviendront se venger par une nuit de brouillard. Le Révérend Malone découvre le journal de son ancêtre qui explique que le navire avait été coulé par six membres fondateurs de la ville. Pour expier leurs fautes, six victimes doivent périr. Or, une brume maléfique commence à semer la terreur et la mort sur son passage...
Fog, une banale histoire de revenants ? Pas si sûr. Chez John Carpenter, les re-venants, comme leur nom l’indique, ramènent avec eux un passé mal digéré au cœur d’un présent si imbu de son mode de vie.
L’insurrection des objets
Plus encore que Christine et La Nuit des Masques, qui se déroulent dans de petites villes des Grandes Plaines, Fog a pour cadre le rêve américain : le charmant port californien d’Antonio Bay, dont la speakerine de la radio locale (Adrienne Barbeau) chante la beauté des eaux calmes.Ce paisible village s’apprête à fêter le centenaire de sa fondation. À cette occasion, l’assistante du maire a préparé un discours très consensuel, qui rappelle les vertus de la modernité et de l’American Way of Life. Comme si l’Histoire avait navigué sur le long fleuve tranquille du Progrès. Or, la version des faits que découvre le pasteur Malone (Hal Holbrook) dans les murs de son église gothique diverge grandement du récit officiel. Retrouvant un journal tenu par son grand-père, il y apprend que ce dernier et ses compagnons orchestrèrent le meurtre d’un certain William Blake et de ses cinq compagnons, tous lépreux, et que cette trahison marqua la naissance réelle d’Antonio Bay…C’est à ce moment qu’intervient le brouillard qui donne son titre au film. Aussitôt que Malone comprend le mensonge sur lequel repose sa paroisse, les objets entament leur révolte. À coups de gros plans, Carpenter saisit l’insurrection des choses : des horloges qui explosent, des phares de voitures qui s’allument en pleine nuit, des réveils qui se détraquent… À l’approche du brouillard surnaturel qui recouvre la ville, les objets s’animent d’une vie propre. De porteurs mémoriels, ils se muent en tocsins de la rébellion. Comme si le passé soigneusement dissimulé sursautait et faisait dérailler le cours linéaire de l’Histoire officielle.
Le brouillard de l’Histoire
« L’Histoire est écrite par les vainqueurs ». On connaît la chanson. Fog renverse la proposition. Revenus sous la forme d’un brouillard, Blake et ses acolytes entendent réécrire l’histoire de leur défaite, et, le temps d’une nuit, prouver qu’une autre histoire eût été possible. Cette veine historiographique, Carpenter l’empruntait déjà dans La Nuit des Masques (Michael Myers comme éternel retour de la violence de l’Histoire) deux ans plus tôt, et la poursuivra dans The Thing (la créature revenue d’une époque reculée) et Christine(la voiture éponyme comme contre-histoire de la geste industrielle). Une bonne partie de sa filmographie tourne autour de la question du sens de l’Histoire, et des manières qu’il y a de renverser son cours. Avec, pour points de départ, les objets – témoins matériels d’un autre temps, et donc, d’une autre manière de vivre – et les monstres – retours de bâton de l’inconscient envers une société américaine gorgée de plaisirs.Au sein de cette œuvre riche, Fog se singularise par l’antagoniste qu’il propose. Il y a certes des objets, il y a certes des monstres, mais, par-dessus tout, il y a cet étrange brouillard. Avec ses lueurs bleu électrique, il offre une matière très cinégénique. Il revêt surtout une polyvalence fonctionnelle dans la narration. D’une part, il constitue un antagonisme ; mais il n’est pas mauvais, il agit seulement comme retour brutal du passé. D’autre part, il dissimule et sépare le groupe des héros ; preuve qu’une contre-histoire met à mal les relations sociales tissées depuis l’événement. Enfin, il recouvre la terre d’un rideau opaque ; possible métaphore du Ça freudien, il brouille le sens de l’Histoire linéaire en y réinjectant les secrets éventés et les tabous brisés. Ce n’est donc guère un hasard si Carpenter a choisi la Californie. Terre de la ruée vers l’or, elle matérialise dans l’imaginaire américain la victoire des Blancs sur les Amérindiens et l’exploitation industrielle de la nature par les premiers. Faire de l’Eden de l’American Dream le lieu de son tombeau, nimbé d’un brouillard aux couleurs de linceul : tel est le projet politique de Fog.
Fog. Les brumes de l’Histoire
Fog, John Carpenter, (1980), ressortie 2018, 1h29 
Maxime
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