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Première de l'Or du Rhin: les sarcasmes du Gaulois

Publié le 29 octobre 2018 par Luc-Henri Roger @munichandco
Première de l'Or du Rhin: les sarcasmes du Gaulois

Le Gaulois du 7 septembre 1869, (p. 3.) publie deux articles consacrés à la première manquée  du Rheingold à Munich. Le premier est signé parle  secrétaire de la rédaction du Gaulois, Léon Estor, le second par François Oswald, un chroniqueur musical envoyé à Munich pour couvrir l'événement. Tous deux adoptent le ton du sarcasme et se gaussent des chroniqueurs français amis de Wagner. Oswald, qui s'était déplacé pour rien à Munich, reprit le train pour Bade où il assista à une représentation du Mignon d'Ambroise Thomas.
" RHEINGOLD - MIGNON
(Munich - Bade)
Hélas! vingt fois hélas! Pendant que M. Catulle Mendès envoie au National des dithyrambes; pendant que nous voyons ici par les yeux de quelques illuminés - qui heureusement se chargent aussi d'entendre pour nous - pendant que les fanatiques et les prophètes crient : Victoire! sur tous les tons, c'est aujourd'hui ou jamais le cas d'employer cette expression, avant même que la représentation ait lieu, voici que ce pauvre Rheingold vient de faire la chute la plus sotte, la plus ridicule, la plus risible, la plus misérable! 
Il n'a même pas pu être représenté! 0 honte!
Pas même représenté!
Il ne s'agit pas de sifflets, ni de tempêtes !! Non ! Pas pu être représenté !!!
Les impossibilités qu'on avait coutume de vaincre n'importe comment les ont écrasés cette fois-ci, tous tant qu'ils sont, les admirateurs de bonne foi et les poseurs, les fous et les imbéciles ! Pourquoi faut-il que Wagner, ce prodigieux talent musical, ait été entouré d'amis si terriblement maladroits qu'ils l'aient poussé à l'absurde pour tout ce qui est de l'art, de la scène ? Pourquoi aller se heurter, de gaieté de cœur, à-des impossibilités absolues, matérielles? 
Mais tout cela, c'est leur affaire qu'ils tombent et crèvent sous le ridicule, cela les regarde mais, pour Dieu qu'ils ne nous démoralisent pas Oswald ! Lui, qui fredonnait si gentiment les motifs d'Auber et les tyroliennes d'Offenbach, s'est évidemment revêtu, pour nous écrire la lettre suivante, de l'étole d'un grand-prêtre. On l'a endoctriné, le malheureux, l'infortuné ! Il a été mordu ! Il parle du Dieu sans la moindre irrévérence, et il va jusqu'à croire aux machinations terribles qui menacent les jours de M. et Mme Catulle-Mendès et de M. Villiers de l'Isle-Adam !
Car vous ne savez pas encore ! Oh ! c'est affreux, c'est épouvantable 1
Il y a une conspiration contre les amis de Wagner, il y a complot ; on veut les martyriser ; l'un périra dans l'huile bouillante, celui-là ce sera M. Villiers de l'Isle-Adam. L'autre sera coupé par petits morceaux, c'est M. Catulle Mendès.
Enfin, qu'est-ce que vous voulez ! Ils y passeront tous !
Ils ne mourront pas tous mais tous seront frappés! Et tout cela pour avoir le courage de dire à Munich que Wagner a du talent ! Je redoute bien que notre ami et collaborateur François Oswald ne nous revienne avec une maladie grave, l'estomac gonflé et les pommettes rouges pour avoir commis le crime d'avaler des tonneaux de bière avec M. Villiers de 1'Isle-Adam et Catulle Mendès !
C'est là un crime que les Munichois ne lui auront certainement pas encore pardonné !
Quoi qu'il en soit, nous prévenons l'Allemagne entière que nous surveillons de loin ceux de nos compatriotes qui s'enchoppent à la plus grande gloire de Wagner, sur la terre du houblon ; s'il tombe un seul cheveu de leur tête, nous en ferons un casus belli.
Dès à présent, nous plaçons nos nationaux sous la protection de notre ministre des affaires étrangères, dont nous surveillerons sévèrement la conduite en cette circonstance. Il n'aurait qu'à se laisser payer par les ennemis de Wagner
Après cette fière admonestation, il ne nous reste plus qu'à laisser la parole à notre confrère Oswald !
Le secrétaire de la rédaction, LÉON ESTOR.
MUNICH
2 septembre.
II faut bien que je vous l'avoue, je viens de donner un coup d'épée dans l'eau; parti de Paris dans l'espérance d'arriver ici assez à temps pour assister à la première représentation du Rheingold, de Richard Wagner, je cours au théâtre de la cour, après avoir pris à peine le temps de secouer la poussière de vingt-quatre heures de route et j'aperçois une affiche annonçant ... Guillaume Tell !
Tant mieux, me dis-je après réflexion, la représentation est remise à demain, j'aurai tout le temps de faire les démarches nécessaires pour obtenir un billet, et je m'informai.
La chose n'est pas si facile qu'elle en a l'air au premier abord; on nous a tellement répété la langue française est la langue universelle, que ce gros mensonge qui chatouille notre vanité en favorisant notre paresse est devenu pour nous un fait acquis, et nous sommes tout étonnés, eu pays étranger, de rencontrer des gens qui répondent par des gestes d'étonnement à toutes nos questions et auxquels il est impossible d'arracher le moindre renseignement.
Comme je ne comprends pas un traître mot de 1'allemand, ce n'est qu'après de laborieux efforts que je parvins à tirer du portier de mon hôtel (ici qui dit portier dit interprète, et le mien est superbe, il a un uniforme de général), que je parvins, dis-je, à tirer de ce personnage quelques indications vagues dont je m'aidai pour arriver à la vérité :
Cette vérité, elle est triste à dire : le Rheingold ne sera pas représenté d'ici quelque temps du moins et voici pourquoi.
On sait que le jeune roi Louis de Bavière, qui a des goûts artistiques très prononcés, s'est pris d'une affection respectueusement enthousiaste pour Wagner; qu'il lui sert une grosse pension, et c'est grâce à son invitation que déjà plusieurs œuvres du maître ont été représentées sur le théâtre de la Cour à Munich, Tristan, le Lohengrin, les Maîtres chanteurs, etc. Ce théâtre est même le seul en Europe où soit possible l'exécution complète d'un opéra de Wagner, et la représentation du Lohengrin, qui a eu lieu l'an dernier à Bade, malgré tous les soins qu'on y a apportés, a été loin de satisfaire le méticuleux et ombrageux compositeur. Louis II avait donc désiré qu'à l'occasion de sa fête, le 25 du mois dernier, on donnât pour la première fois le Rheingold
Le Rheingold est le prologue d'une œuvre immense, les Niebelungen, à laquelle Wagner travaille depuis de longues année; mais, tout prologue qu'il est, le Rheingold ne dure pas moins de trois heures, ce qui est déjà bien honnête et exige des préparatifs considérables de toute espèce : l'orchestre, pour obtenir certains effets de sonorité, a dû être abaissé de telle façon que la tête des musiciens est juste à la hauteur des pieds des spectateurs placés au parquet ; des décorations compliquées, des machines spéciales, que sais-je encore, ont été installées à grands frais.
II y a quelques jours, avant la date fixée pour la première représentation, on voulut se rendre compte de l'effet général, et on donna une grande répétition avec accessoires et décors.
Hélas ! quelle désillusion ! quel désenchantement ! rien n'a marché d'une façon normale, tout a raté complètement. Impossible de jouer ainsi devant le roi ! Et alors les récriminations : l'intendant des théâtres prétend avoir à se plaindre de M. Henri Richter, le chef d'orchestre ; M. Richter rejette tout sur l'intendant, le ténor Bets [sic] déclare qu'il ne chantera pas dans ces conditions-là, enfin c'est une déroute générale.
On en réfère à Wagner qui se trouvait à Lucerne et qui, à cette occasion, est venu passer une journée avec son jeune protecteur, au château de Berg, et Wagner donne raison au chef d' orchestre. Nouvelle complication : l'intendant se fâche et ordonne la représentation ; M. Richter donne sa démission, qui est acceptée ; on télégraphie partout en Allemagne pour trouver un chef d'orchestre qui veuille bien le remplacer; personne n'accepte, et quand au ténor Bets, il prend le chemin de fer et disparaît.
Voilà où en sont les choses : d'ici à ce qu'on ait trouvé un chef d'orchestre, un ténor, et d'ici à ce que l'opéra du Rheingold soit en état d'être représenté, il se passera plus de temps que vous ne m'avez permis de rester en Bavière, mon cher directeur, et voilà pourquoi je vais repartir ce soir même pour Bade.
Ce Richter est une physionomie à part : il est tout jeune, il a les yeux bleus avec la barbe et les longs cheveux blonds, une vraie tête de Germain. Son fanatisme pour Wagner est tel qu il a préféré renoncer aux grands avantages de sa position à l'Opéra, plutôt que de faire exécuter dans de mauvaises conditions un ouvrage de celui qu'il considère comme un dieu
Du moment qu'on ne jouait pas le Rheingold, je n'avais plus qu'une chose à faire, me promener ; en voiture, donc et visitons Munich.
Ne sachant que faire du commencement de ma soirée, car je pars à onze heures et demi, je me suis fait conduire à Action Théâtre, dans un faubourg, où l'on jouait Barbe-Bleue d'Offenbach.
(Ici les spectacles commencent à six heures et demie et à dix heures tout est fermé.)
Vous ne pouvez pas vous faire une idée de la façon dont les Allemands comprennent et interprètent ce que nous appelons les cascades.
Boulote, prononcez Boulôôôte, Barbe Bleue (blaubart), Popolani, m'ont semblé chercher le comique dans le lugubre poussé jusqu'au paroxysme, mais il ne le trouvent pas, et il y a quelque chose de bien curieux dans l'aspect de cette salle qui écoute sans broncher les raisonnements insensés et les cocasseries des acteurs, comme elle écouterait un drame. Je ne suis même pas bien sûr que les spectateurs ne crussent point assister à une pièce sérieuse.
D'ailleurs les acteurs sont absolument mauvais, mal habillés et chantent faux. Une bien bonne plaisanterie en passant tout à l'heure, au café de l'Opéra, dire adieu au petit clan wagnérien qui s'y réunit tous les soirs, à Catulle Mendès et Mme Judith Gautier, sa femme, Villiers de l'Isle-Adam, Servais, etc., j'apprends qu'un avis anonyme venait de leur être adressé.
Ils sont menacés d'une démonstration hostile de la part des ennemis de Wagner qui se proposent, après les avoir battus, de les forcer à quitter la ville.
Quels énergumènes ! 11 n'y a que les gens comme Wagner pour inspirer d'aussi grands dévouements, des enthousiasmes aussi exaltés en même temps que des haines aussi profondes.
Mendès va écrire au ministre de la police pour le prévenir qu'à partir de demain il ne sortira plus qu'armé de revolvers. Le chemin de fer me réclame, il faut partir ; pourvu maintenant que Mlle Nilsson puisse, samedi, chanter Mignon, j'ai tant de veine !
[Suit le commentaire sur Mignon à Bade]
FRANCOIS OSWALD "

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