Vivendi est un groupe français spécialisé dans les contenus, les médias, et la communication. Il est aujourd’hui l’un des principaux fournisseurs de divertissement dans le monde, grâce au groupe Cannal+ et Universal Music ou encore le site Internet Dailymotion. Par le passé, le groupe a aussi été propriétaire des entreprises de jeux vidéo Blizzard et Activision qu’ils ont fusionnés puis revendus en 2013. Ubisoft est une entreprise française de développement, d’édition et de distribution de jeux vidéo, créée en mars 1986 par les cinq frères Guillemot. Le groupe, bien que coté en bourse, a gardé sa structure familiale. Ubisoft est détenteur de nombreuses franchises à succès telles que Rayman, Prince of Persia, Tom Clancy, Assassin’s Creed, Far Cry, Just Dance, Watch Dogs. La société s’est diversifiée en transposant ses franchises de jeux vidéo dans les domaines de la bande-dessinée, du cinéma et de la télévision avec sa filiale Ubisoft Motion Pictures.
Contexte et enjeux
Les affrontements entre Vivendi et Ubisoft débutent débute en octobre 2015, lorsque le groupe de Vincent Bolloré amorce un raid financier et s’empare de 6,6% des actions d’Ubisoft à la surprise générale. C’est un rapport de force franco-français entre le leader européen du jeux vidéo, et le 7ème conglomérat médiatique mondial. Le rapport de force réside ici en une attaque sur la propriété de l’entreprise, ce qui s’apparente à une conquête de territoire au sens traditionnel du terme. Pour Vivendi l’enjeu est de créer une synergie entre son appareil de divertissement et les franchises, les univers créés dans les jeux vidéo. N’ayant pas de franchise forte dans leur portefeuille comme peuvent l’avoir Disney avec Stars Wars ou Marvel… Ils souhaitent ainsi exploiter des univers comme Assassin Creed, ou les « Lapins crétins ». Pour Ubisoft, l’enjeu est de rester indépendant, de garder leur structure familiale, de rester maître de leur pouvoir créatif, et de continuer de produire de grandes franchises avec des sorties régulières afin de dégager des revenus constants et ainsi sécuriser financièrement leur société. De plus, pour pouvoir entrer sur le marché chinois il faut avoir un accord avec un éditeur local. Tencent, le géant chinois du numériques, possède un quasi-monopole sur le marché chinois. Si Vivendi venait à prendre le contrôle d’Ubisoft cela ralentirait les expansions du groupe vers la Chine, les stratégies de Vivendi et de Tencent sur ce point n’étant pas compatibles.
L’affrontement
En octobre 2015, Vivendi entre au capital d’Ubisoft et de Gameloft, société indépendante également créée par les frères Guillemot. Yves Guillemot, le PDG d’Ubisoft met alors en place une mobilisation générale en interne : dans un e-mail envoyé à ses collaborateurs, il affiche sa volonté de préserver l’indépendance du groupe et se dit « confiant et déterminé ». En externe, il égratigne publiquement les méthodes du PDG de Vivendi : « Nous avons le sentiment d’avoir vécu une agression », relate-t-il aux Echos à la fin d’octobre 2015.
Vivendi relève l’affrontement médiatique et répète à plusieurs reprises : « Yves Guillemot, est un acteur de taille européenne, là où le jeu vidéo appelle par nature des partenaires internationaux ». La réponse : « Nous préférons travailler avec le top 5 du secteur plutôt qu’avec le numéro 10 », griffe le PDG d’Ubisoft dans une interview au Figaro. Cela rappelle la volonté d’Ubisoft de travailler avec Tencent. Vincent Bolloré arrête alors de communiquer mais continue de grapiller des parts. En mai 2016, il réussit son OPA sur Gameloft, filiale d’Ubisoft spécialiste du jeu vidéo mobile. Cette OPA a pour vocation d’envoyer un message aux employés d’Ubisoft, en donnant l’image d’une entreprise épanouie depuis son changement de propriétaire, alors que les errements à Canal+ sont pointés du doigts par le clan Guillemot. Enfin, c’est une démonstration de force. Il faut souligner que dans le même temps, Vivendi monte de 11% à 17 % du capital, et exige un siège au Conseil d’administration. Ubisoft continue de déployer une énergie abondante à communiquer sur l’adhésion de ses équipes à la marque Ubisoft et à sa direction actuelle. Plusieurs pontes créatifs menacent publiquement de quitter le navire en cas de rachat par Vivendi. Lors des événements internationaux, les salariés du groupe s’affichent avec des tee-shirt « We are Ubisoft » ou « I BelYves ».
Septembre 2016, durant l’Assemblée générale des actionnaires d’Ubisoft, le rapport de force financier est à l’avantage de Vivendi, mais le conglomérat des médias temporise pour la première fois. Tout en promettant d’être présent au capital sur le long terme, le groupe de Vincent Bolloré ne demande pas le siège au Conseil d’administration : une victoire symbolique pour la famille Guillemot. Vivendi monte à nouveau au capital, pour se porter désormais à 24 % des actions. Mais dans le même temps, Ubisoft connaît le début d’une période de réussite commerciale exceptionnelle. L’entreprise, qui a entamé avec succès sa mue vers des modèles économiques fondés sur des revenus plus réguliers, grimpe en Bourse. Un rachat semble alors de plus en plus onéreux. En novembre 2017, Vivendi range une première fois l’épée au fourreau. Après avoir porté sa participation à 27,7 % du capital, le groupe s’engage à ne pas lancer d’OPA sur Ubisoft durant six mois. En coulisses, le temps des négociations débute. Finalement, en mars 2018, trente mois après son entrée fracassante, Vincent Bolloré se retire, il revend ses actions pour 2 milliards d’euros lorsque leur acquisition lui a coûté 800 millions d’euros. Il génère ainsi une plus-value d’1,2 milliard d’euros. Une partie des actions est rachetée par le groupe Tencent à hauteur de 5% des parts du groupes
Stratégie D’Ubisoft
Vivendi suit une stratégie financière classique : ils réalisent un raid, des OPA sur un acteur économique plus faible financièrement.
Ubisoft est donc dans la position du « faible », de l’agressé. Ubisoft ne peut pas lutter arme à la main, pied à pied avec Vivendi et choisi donc d’appliquer une stratégie de communication massive, d’influence et de propagande. Les Guillemot vont tenter d’influencer les autres actionnaires importants de l’entreprise pour qu’ils évitent de vendre leurs actions durant les OPA réalisées. De plus, ils intensifient la communication en interne, ils rentrent dans une logique de résilience, ils font participer leur équipes, l’ensemble du capital social fait bloc et les actionnaires travaillent de concert.
En termes de propagande, il martèle leur message auprès de leur clientèle, et de la presse. Expliquant que ce serait « la mort » d’Ubisoft, ou au moins « la mort » des jeux de qualité chez Ubisoft. La clientèle, c’est à dire les gamers, est avant tout constituée des fans, des personnes qui recherchent un univers. Le message a été fort et les clients ont été solidaires avec leur entreprise, en faisant circuler l’information et démultipliant le combat par le biais de communication de tous types via Internet. Vivendi se retrouve alors dans une position où, bien qu’ils continuent à acquérir des parts, ils ne peuvent demander de place au Conseil d’administration (alors qu’ils sont majoritaires), car cela ferait basculer l’équilibre de l’entreprise qui engrange de gros bénéfices.
Ubisoft a atteint ses objectifs. L’entreprise est restée indépendante et a pu concrétiser son partenariat avec le groupe Tencent. Les dirigeants se sont servis de la position du « faible » pour gagner la bataille de la communication, et de l’information et ainsi contrecarrer une attaque financière classique. Ils perdent Gameloft leur filiale de jeux mobile ; stratégiquement ils perdent leur ouverture sur le marché du mobile qui représente la plus grosse part de marché du jeux vidéo, mais ils conservent le cœur de leur activité et leur capital notoriété et réputation. Le fait d’avoir noué un partenariat avec Tencent leur ouvre le plus gros marché mondial du jeux video.
Néanmoins, si Vivendi n’a pas atteint ses objectifs, le groupe sort de cette confrontation avec une plus-value de 1,2 milliards d’euros soit 40 millions d’euros de bénéfices par mois ; et garde la filiale Gameloft, spécialisée en jeux mobile. En revanche il est plus difficile de voir des synergies entre Gameloft et le reste du groupe de Vincent Bolloré car Gameloft ne possède pas les précieuses franchises visées par ce dernier. Vivendi n’atteint pas ses objectifs premiers, mais Vincent Bolloré illustre à nouveau qu’une stratégie offensive est toujours plus avantageuse qu’une stratégie défensive. Ubisoft gagne d’un point de vue stratégique mais Vivendi transforme une défaite tactique en victoire financière.
Arthur Chardon
Articles de presse
Les Echos : Jeux vidéo : Bolloré accroît la pression sur Ubisoft
Les Echos : Ubisoft aux aguets face à Vivendi
https://www.lesechos.fr/09/09/2017/lesechos.fr/030537272629_ubisoft-aux-aguets-face-a-vivendi.htm
Les Echos : Vivendi renonce à Ubisoft
https://www.lesechos.fr/20/03/2018/lesechos.fr/0301462473895_vivendi-renonce-a-ubisoft.htm
Reuters: Vivendi selling Ubisoft stake for $2.45 billion, ends battle for control
Le monde : Ubisoft-Vivendi, la fin de deux ans et demi de feuilleton
Polygon:Ubisoft finally fends off Vivendi takeover bid through Tencent partnership
https://www.polygon.com/2018/3/20/17144094/ubisoft-vivendi-sells-stake-tencent-deal
La Tribune :Ubisoft : le clan Guillemot gagne la partie face à Vivendi
newzoo: Mobile Revenues Account for More Than 50% of the Global Games Market as It Reaches $137.9 Billion in 2018
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