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Éblouissante Venise. Propagande par la fête

Par Balndorn

Éblouissante Venise. Propagande par la fêteGiandomenico Tiepolo, Scène de Carnaval ou Le Menuet, (1754-55), Musée du Louvre, Paris
L’exposition Éblouissante Venise ! Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle qui se tient actuellement au Grand Palais se vit comme une fête : musique, spectacles, marionnettes… Et pourtant, la fête n’a rien de prosaïque. Car c’est précisément par ce biais que la Sérénissime érigea son propre mythe, et donc, sa politique de prestige.
La fête, idéal esthético-politique de la Sérénissime
Venise au XVIIIe siècle, c’est, avec la France de la même époque, l’un des premiers soft power. Bien que ses colonies méditerranéennes reculent sous la poussée ottomane et que son commerce décline dans le dernier quart du siècle, elle continue de dominer le paysage culturel européen. Les aristocrates anglais en font une étape obligée de leur Grand Tour, tandis que les peintres vénitiens (les Tiepolo père et fils à la Cour d’Espagne, Pellegrini et les Ricci à Londres, Paris et Vienne…) exportent aussi bien leur savoir-faire que leur savoir-vivre dans les capitales européennes.De savoir-vivre, il est bien question dans les vedute des Tiepolo, de Canaletto et de Guardi. Condensés de sociologie, ces toiles mettent en scène la structuration sociale particulière de Venise, où se côtoient quotidiennement – du fait sans doute de l’espace restreint de la lagune – toutes les couches sociales. Aussi, La Scène de carnavalque peint Giandomenico Tiepolo (le fils) vaut comme manifeste esthético-politique : s’y mêlent dans l’allégresse générale nobles et roturier·e·s, riches et mendiant·e·s, Blanc·he·s et Noir·e·s, réuni·e·s par le seul plaisir de la fête. La représentation idéalise certainement la réalité, mais elle traduit un certain état d’esprit, sinon un programme politique : l’art comme liant social (et soupape de sécurité face aux séditions). De la même manière, les arts se répondent entre eux. Une cantatrice célèbre dans toute l’Europe se fera tirer le portrait par Rosalba Carriera (Portrait de Faustina Bordoni Hasse), alors que des sculpteurs talentueux comme Andrea Brustolon s’investiront dans la décoration intérieure de palais aristocratiques. Ce dialogue des arts vise l’art total, métaphore de la société totale dans laquelle dialogueraient harmonieusement l’ensemble des couches sociales.
Venise, un mythe
Cette analyse politique, on la trouve de-ci de-là au travers des panneaux. Mais cette faiblesse informative n’en est une qu’en apparence. Comme l’exposition sur Le Baroque des Lumières, qui se tenait l’an dernier au Petit Palais, la scénographie fait sens ici. Multipliant les recoins, les alcôves et les sentiers secrets, le parcours imaginé par l’artiste Macha Makeïeff s’amuse à reprendre le plan labyrinthique de la ville lacustre. Comme lors d’une déambulation vénitienne, on se perd, on s’égare, et l’on se plaît à dénicher des surprises là où l’on ne s’y attendait pas.À défaut de poids politique, Venise mise sur le pouvoir culturel. Ou plutôt, c’est ce dernier qui sert de politique étrangère. En se présentant comme un haut-lieu de la civilisation hédoniste (Venise et ses masques, Venise et ses bals, Venise et ses canaux…), la cité-État conforte l’idée qu’elle demeure essentielle à l’Europe des Lumières. De son vivant même, elle produit son propre mythe. Les saynètes que croque Pietro Longhi, comme cette étrange Conversation entre masques, inventent une réalité plus qu’elles ne la décrivent – et pourtant, c’est cette image mystérieuse qui subsistera de Venise. Les puissants vénitiens ne sont pas idiots : louer les services d’un grand artiste, ce n’est pas pour l’amour de l’art, mais pour inscrire leur nom à la postérité. Pari gagnant : bien que déchue, la Sérénissime rayonne toujours dans le panthéon culturel mondial.
Éblouissante Venise. Propagande par la fête Vue de l'exposition
Éblouissante Venise ! Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle, au Grand Palais jusqu’au 21 janvier 2019
Maxime
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