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Ma Guerre – Les revers de la médaille 

Par Julien Leray @Hallu_Cine

« C’est le rendez-vous des cas sociaux, des psychopathes, et des mythomanes ». Thierry, l’un des témoins filmés par Julien Fréchette dans Ma Guerre n’y va pas de main morte pour qualifier celles et ceux rejoignant les rangs des volontaires officiant aux côtés des milices kurdes dans leur guerre contre l’Etat Islamique. Une affirmation d’autant plus cynique que celui-ci, bien qu’arguant qu’il fait, lui, partie des « esprits libres », compte bien parmi ces occidentaux quittant la quiétude (relative, mais sans commune mesure avec la réalité socio-politique du Proche et du Moyen-Orient) de la France, du Canada, ou encore des Etats-Unis, pour (re)donner un sens à leur existence, au cœur de terres ravagées par les combats, les exils forcés, et la pauvreté. Mais si son avis frôle la prétention et la mauvaise foi, le constat dressé sur les motivations de ces soldats (de métier, ou même totalement improvisés) n’en reste pas moins plutôt lucide quant à leur ambiguïté. À la question de savoir pourquoi ils se sont engagés dans ce conflit, payant même de leur poche leur présence en sol kurde, la plupart affirmera souhaiter faire une différence. Participer concrètement à l’éradication « des méchants ». La réthorique usitée de l’Axe du Mal face à celui du Bien, ici intégrée et recyclée par des personnes un peu paumées, sinon écorchées, mais dont on ne peut décemment douter de la sincérité.

Ce à quoi Julien Fréchette a su rendre pleinement justice, en questionnant certes ouvertement la logique et le sens profond de leurs actions, mais en respectant également leur raisonnement et le bien-fondé de leurs choix. C’est ainsi qu’outre ses propres images et ses (magnifiques) plans, le cinéaste a choisi d’intégrer des séquences tournées par l’une de ces combattant(e)s, une canadienne anglophone ne trouvant plus vraiment sa place au sein d’une société nord-américaine déconnectée des horreurs subies par les populations kurdes, irakiennes, ou syriennes. Des vidéos en forme de journaux intimes offrant une perspective toute personnelle, plus sensible et moins analytique, sur ces personnes prêtes à tout plaquer (travail, famille, et même enfants) pour embrasser cette quête qui, chacune à leur mesure, les fait avancer. Plus globalement, Julien Fréchette a fait de Ma Guerre un exercice emballant sur la problématique du point de vue au cinéma. En mettant de l’avant trois regards distincts portés sur une même réalité (celui d’Hannah Bohman donc, celui de Wali – ex-tireur d’élite en mal d’adrénaline et de combats sur le terrain, qui, tout en combattant, filmera lui-même son quotidien en vue de monter son propre documentaire -, et bien sûr le sien), oscillant constamment entre le point de vue externe et la mise en abime, le cinéaste a réussi à traduire la complexité, l’ambivalence d’actes tabous autant que moralement contestables (quelle légitimité pour des étrangers d’intervenir dans des conflits régionaux par lesquels ils ne sont, a priori, pas concernés ?), ainsi que la dualité faite de courage et de fragilité animant chacun de ces combattants de fortune.

Alors que de nombreux travaux cherchent encore à comprendre les causes ayant pu conduire tant de jeunes occidentaux à rallier Daesh, Julien Fréchette a pris quant à lui le sujet à rebours en mettant cette fois l’emphase sur l’autre côté du miroir. Pour une conclusion sans appel, aux conséquences finalement similaires pour ces soldats et leurs ennemis jurés : si la mort ne les frappera pas tous sur le champ de bataille, l’amertume, la rancoeur, et l’esprit de revanche seront des maux avec lesquels beaucoup d’entre eux devront dès lors vivre et composer. Une manière aussi habile que pertinente de s’interroger sur la faillite humaniste de nos sociétés.

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