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Les souvenirs wagnériens et lisztiens de Judith Gautier racontés par Willy

Publié le 16 novembre 2018 par Luc-Henri Roger @munichandco

Les souvenirs wagnériens et lisztiens de Judith Gautier racontés par Willy

Extrait des Souvenirs littéraires ... et autres de Willy (1859-1931).

Henri-Gauthier-Villars, dit Willy, qui fut le mari de Colette,, livre dans ses Souvenirs littéraires pleins d'humour le roman de sa vie. Il évoque au chapitre IX ses rencontres avec Judith Gautier qui ouvrait pour lui son coffre à trésors contenant de précieuses lettres de Wagner. Voici l'extrait des Dîners de Judith Gautier, wagnérienne.

[...] Ses hôtes enfin partis, Judith Gautier ouvrait son " coffre à trésors " et me montrait des lettres de Richard Wagner, restées inédites, qu'elle aurait pu vendre au poids du radium. " Chère Judith, je me rappelle cette répétition de Rheingold pendant laquelle j'ai gardé ta petite main dans les miennes tout le temps. "

- Vraiment, Judith, tout le temps?

- Dame, puisqu'il l'a dit, ce devait être vrai.

D'une autre lettre, écrite pendant la composition de Parsifal, " Père né après son fils " j'ai retenu ceci: " Oui, oui, Parsifal va bien, mais ma robe de chambre en brocard d'or ne va pas du tout. " Suivaient d'innombrables détails vestimentaires.

Judith énumérait les antipathies de Wagner: " Il avait horreur de Villiers de l'Isle Adam, entre autres, il affectait de le croire enragé, il grimpait aux arbres pour échapper à ses morsures, bouffonnerie dont le pauvre Villiers s'attristait.

- Est-il vrai qu'il détestait solidement Mendès ?

- Ah! celui-là, n'en disons rien!

Judith gardait une aversion inguérissable - elle, si bonne pour ce Catulle qu'elle avait épousé, passant outre à l'intervention paternelle. `

Que n'ai-je retenu tout ce qu'elle m'a conté sur Liszt, pianiste hongrois ceinturé d'un sabre, polygame adulé, pêcheur repentant entré dans les ordres, Liszt, dont l'étourdissante virtuosité masqua si longtemps un talent auquel, depuis peu, grâce à Ravel, Câlvocoressi et aux jeunes de ce groupe intelligent, on reconnaît d'ingénieuses recherches et d'étonnantes trouvailles.

Malgré son culte pour Wagner, elle ne pouvait s'empêcher de reconnaître qu'il en usait cavalièrement avec l'auteur de la Faust Symphonie.

- Papa, gouaillait-il, ces verrues que tu as sur la figure c'est laid ! Tes femmes aimaient ça, autrefois ?

Litz souriait, sans répondre.

Un jour, on attendait, pour se mettre à table, le maître en train de composer. Un quart d'heure se passa. Une demi-heure. Cosima Wagner se dépensait en anecdotes, en considérations esthétiques, pour remplacer le gigot qui, sûrement, se racornissait à la cuisine.

Brusquement, Wagner entre, les yeux flamboyants, le visage empourpré, encore tout plein du dieu :

- Papa, je viens de te chiper un motif pour mon Wotan, la, fa, ré, si, ré, ré, mi, fa (5 bémols, of course, ou deux dièzes).

- Je te remercie, Richard. Au moins c'est un thème de moi qui sera sûr de passer à la postérité.

Cela fut dit si spontanément, avec un élan si convaincu, que Wagner, ému soudain, se jeta dans les bras de Liszt. Jolie scène touchante que les Allemands gâtèrent en l'applaudissant à grand fracas, comme au théâtre. Ah! peuple geschmacklos!

De sa voix monotone, Judith rappelait aussi qu'appelé à l'asile de Charenton, dans l'espoir que sa musique réussirait à clamer certains sujets dangereusement agités, Liszt s'assit au piano, plaqua un accord... Des sonorités affreuses s'échappèrent... Un dément avait méchamment désaccordé l'instrument préparé pour l'illustre visiteur. En un instant, cette cacophonie surexcita jusqu'au délire la foule des aliénés qui se mirent à hurler de joie en dansant autour du virtuose interdit : " Liszt est fou ! Liszt est fou !"

Un de ceux qui gesticulaient et vociféraient était le frère aîné de Victor Hugo, " Eugène, vicomte H. ", écrivait le poète, qui tenait à lui donner ce titre auquel il n'avait aucun droit non plus qu'au blason des Hugo de Lorraine, également annexé par ce démocrate ami du panache, descendant, en réalité, de Joseph Hugo, menuisier à Nancy.

La dernière fois que je vis Liszt, ce fut à la Muette, où Mme Erard donnait en son honneur une grandissime soirée musicale, artistique, mondaine, d'ailleurs encombrée de politiciens qui n'avaient rien à y faire,

Liszt s'avança, large et mince bouche en fente de tirelire dans une face osseuse, glabre, qu'encadraient, pareils à des planchettes de bois, deux paquets de cheveux plats obstinément rigides. Le comte de Franqueville, grand maître des cérémonies, annonça : " Le maître, mesdames et messieurs, va improviser une csarda ".

D'abord ses longs doigts décharnés errèrent sur les touches comme au hasard, hésitants, on eût dit découragés. Peu à peu, cependant, un thème se précisa, une plainte en sol mineur, relevée d'une altération plutôt prévue de la sensible. Et puis, de grands accords, s'envolèrent. Et puis des arpèges coururent sur le clavier, beaucoup d'arpèges, des bottes d'arpèges. Et puis ce fut tout.

Emile Ollivier, pantelant d'enthousiasme, les yeux fulgurants derrière ses verres de lunettes larges comme des soucoupes, donna le signal des applaudissements qui éclatèrent, si violents, si prolongés, que les pendeloques du lustre s'entrechoquaient.

in Willy, Souvenirs littéraires... et autres, Éd. Montaigne, Paris, 1925.

Post précédent sur le sujet: Etre Français et wagnérien pendant la première guerre mondiale. Les souvenirs littéraires de Willy.


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