Ils sont 125 000 d'après la police, sans doute le double, avec 2000 rassemblements recensés. De toutes façons, personne n'ose minorer le mouvement qui est soutenu par les trois quarts du pays selon les enquêtes des instituts officiels. Samedi 17 novembre, les "Gilets Jaunes" protestent, mais ne bloquent pas le pays. Il y a des heurts, un mort, quelques blessés. Et l'on retient enfin le ras-le-bol de la France d'en bas, et l'on constate la trouille de la France d'en haut.
Contre les gueux, la Macronista use de trois ressorts prévisibles: caricaturer le mouvement, puis culpabiliser sur la défense de l'environnement, puis enfin tenter l'apaisement, trop tard.
Caricaturer
Il est difficile de ne pas voir cette rage populaire, un mouvement certes brouillon, confus et contradictoire. Mais une rage évidente, qui effraye les puissants. Le diesel est le carburant des classes modestes, des territoires ruraux et excentrés, des zones périphériques mal desservies et des départements urbanisés et désindustrialisés (Nord, Pas-de-Calais, Moselle): "les départements où habitent le plus de ménages non imposés sont généralement aussi ceux où circulent le plus de véhicules diesel." (Sciences et Avenir).
Quand les Gilets Jaunes enflamment les réseaux sociaux, qu'une pétition atteint près d'un million de soutiens, puis que la presse s'empare quotidiennement du sujet, la première attaque macroniste concertée est d'accuser le mouvement de populisme facho. Il s'agirait de "lâcheté" ou d' "hypocrisie" que de manifester ou de soutenir les "gilets jaunes" le 17 novembre. Il s'agirait de "fascisme", de "poujadisme", d'"égoïsme". Les bigots macronistes font l'habituel chantage à l'extrême droite qui a permis l'élection de meur mentor en 2017, ils braillent contre "ce mouvement-récupéré-par-l'extrême-droite", et assimilent tout supporteur des Gilets Jaunes à un complice du Rassemblement National .
Les insultes fusent, le mépris se mêle à un début de trouille.
"Mouvement irrationnel", d'après Édouard Philippe, "situation insaisissable" d'après Christophe Castaner. Sur les plateaux, les éditocrates fustigent, raillent et critiquent ces "gueux-qui-n'ont-rien-compris", ces poujadistes, ces fachos qui oublient que la planète va si mal, bref, ce "populisme."
"Populisme" ?
L'étiquette est à la mode dans la France d'en haut et chez ses idiots utiles. Elle sert à caricaturer tout discours, tout argumentaire, toute personne ou tout groupe politique qui ne rentre pas dans le rang de cette présidence des riches.
Mais ces attaques sont inaudibles. Elles ne découragent rien ni personne, bien au contraire. Après "l'itinérance mémorielle" gâchée par des altercations de Français en colère la semaine précédent la cloture des cérémonies hommages au 100ème anniversaire de la Première Guerre mondiale, Jupiter s'exprime à nouveau, en vain. Il choisit le cadre et la mise en scène. Ce sera sur TF1, en direct du porte-avion Charles de Gaulle où il a choisi de faire savoir qu'il y dormirait une nuit entière (mais en cabine individuelle, faut pas déconner): "Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français et ses dirigeants" grommelle-t-il. C'est la seule phrase que l'on retient de sa péroraison.
Macron se fait interroger dans un décor militaire, avec des gros obus derrière lui, quand le sujet du moment, celui qui provoque cette intervention présidentielle publique, est une affaire de taxe et d'injustice. L'image n'est pas fortuite. Elle est préparée. Le jeune monarque, inaudible, cherche à se re-légitimer en se montrant dans un pareil décor guerrier. Il y a quelques siècles, il se serait montré au balcon du palais, une couronne sur la tête. L'appareillage militaire est ce qu'il reste de symbole d'autorité présidentielle dans cette République monarchique affaiblie.
Culpabiliser
Nicolas Hulot, en démissionnant fin août et en direct sur une radio publique, a lâché Macron là où les ambitions écologiques de ce clan des riches les avait, c'est-à-dire à terre: "Est-ce que nous avons COMMENCE à enrayer l'érosion de la biodiversité ? La réponse est non." Les choix écologiques de la Macronista sont pitoyables: les seules "avancées" sont celles qui ne dérangent pas les gros pollueurs et/ou les industriels mais perturbent et pénalisent les classes populaires.
- Interdire les 4X4 et autres grosses cylindrées inutiles sur nos routes de France ? Non, pas question!
- Taxer le kérosène ? N'y pensez pas! Jupiter lui-même use et abuse du Falcon présidentiel pour des micro-déplacements en France, comme ce dernier trajet de 110 km entre la Roche-sur-Yon, en Vendée, et Rochefort en Charente-Maritime, quarante-huit heures avant le mouvement du 17 novembre.
- Interdire immédiatement le glyphosate ? Surtout pas ! L'écologie "pragmatique" de la Macronista tolère le glyphosate malgré le principe de précaution parce qu'il ne faut gêner l'agriculture industrielle.
- Lutter contre la déforestation ? Il est urgent d'attendre, répète le gouvernement, en renvoyant vers un "encadrement européen": en catimini cette semaine, le gouvernement a même tenté d'inclure l'huile de palme dans la liste des biocarburants.
- Augmenter l'offre de services publics de transports ? Pas prévu, au contraire. Macron a fait voter la réforme de la SNCF pour préparer la privatisation du rail. La fermeture des petites lignes "non rentables" est toujours "à l'étude".
- Et le nucléaire ? Pas touche ! Le développement d'un nucléaire hors de prix, non-recyclable et dépendant de minerais en Afrique est une priorité macroniste. La simple fermeture de la centrale obsolète de Fessenheim a encore été reportée à après 2020. La récente audition à l'Assemblée nationale de la future présidente de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) fut l'occasion de constater l'impasse assumée que la Macronista fait sur le contrôle de la filière nucléaire. Même l'oratrice LReM, la députée Bérengère Abba, s'est déclarée déçue du manque de transparence.
Deux poids, deux mesures : la priorité de la Macronista est ailleurs, servir les riches. Il suffit de (re)lire les mesures les plus chères de la première année du quinquennat pour le constater: suppression de l'ISF (3,5 milliards par an), "flat tax" (1,5 milliards d'euros), rabotage des APL, suppression des emplois aidés, réduction des retraites par la hausse de la CSG, réduction des droits des salariés, suppression de 200 000 postes de représentants des salariés avec les Ordonnances Travail, privatisation du rail, protection du statut des riches, économie sur le budget des hôpitaux publics, déremboursements de frais de santé, traque des migrants, réduction des protections du droit d'alerte grâce à la loi sur le secret des affaires.
François Ruffin résume d'une formule: Macron, c'est "Robin des bois à l'envers, repeint en vert."
Boutique Enlysée
Calmer le bololo
Ni la culpabilisation ni les caricatures n'ont fonctionné, bien au contraire. Tous les partis politiques, sauf les macronistes, soutiennent le mouvement du 17 novembre.
Où sont d'ailleurs les écologistes ? Les "écologistes" macronistes se terrent et se taisent, au grand dam de leurs autres collègues macronistes qui leur reprochent de ne pas monter au créneau. Même les écologistes "officiels", EELV-Les Verts, s'indignent: "pas d'écologie sans justice". Le slogan est simple. Il résume une ambition, et l'absence d'ambition de la Macronista. "le choix actuel du Gouvernement de n’orienter que 19% de la fiscalité carbone à la transition énergétique est à la fois injuste socialement et inefficace écologiquement. Sans le financement d’alternatives, les personnes dépendantes de leurs voitures pour leurs déplacements continueront de s’en servir. Cette fiscalité ne permettra donc pas de baisser les émissions de CO2. À cela s’ajoute l’injustice sociale car ce sont les plus pauvres qui ressentiront le plus violemment la hausse du prix du carburant."
Même les effacés de l'UDI (qui ?) se désolidarisent de la macronista quelques jours avant le 17 novembre: "nous nous opposons également une taxation qui n’a d’écologique que le nom. (...) Pour que l’augmentation de la fiscalité sur les carburants soit acceptable et incitative, il faut que les alternatives proposées face aux moteurs thermiques soient viables et rendues abordables."
A l’Élysée, le stress grandit. Le blocage annoncé et le ras-le-bol incontrôlé provoquent une inquiétude parfois irresponsable. Par exemple, les forces de sécurité arrêtent de façon préventive 7 personnes suspectées de vouloir lancer... quelques œufs contre le président de la République. On nage en plein délire sécuritaire. Puis quelques 200 manifestants scandent le jour d'une visite présidentielle, vendredi, "Macron démission !".
Le gouvernement adoucit donc son discours. On envoie un député macroniste se faire filmer au 13H de TF1 en train de compatir avec des râleurs. A Matignon, Édouard Philippe lâche en urgence la création d’une nouvelle prime à la conversion des chaudières au fioul, l'augmentation de 150 à 200 euros du chèque énergie pour près de 6 millions de Français, le doublement de 2 000 à 4 000 euros de la prime à la conversion des voitures pour les 20% les plus modestes qui roulent beaucoup.
Sa secrétaire d’État à l'écologie, l'ex-lobbyiste Emmanuelle Wargon brandit le chiffre de dix milliards consacrés à la transition énergétique, soit "plus que les 3,9 milliards" de la taxe carbone. Les chiffres sont lâchés: 500 millions d'aides versus 4 milliards de taxation supplémentaires pas même fléchés vers la transition écologique.
"Nous n’avons pas été entendu. Les mesures qui ont été annoncées ne répondent pas aux attentes ce qui prouve que le contenu de la pétition n’a pas été lu." Priscillia Ludovsky, pétitionnaire.
La fin de la société ?
Des Gilets Jaunes sont même allés déranger la résidence versaillaise du jeune monarque, joli symbole. Comme Sarkozy en son temps, Macron a pris l'habitude de privatiser la Lanterne à Versailles pour ses repos du weekend. Le jeune monarque est parvenu à incarner l'injustice d'une situation politique et sociale qui ne cesse de s’aggraver. "Rends l'ISF d'abord !" lui crie François Ruffin à la tribune de l'Assemblée. Oui, rends l'argent, camarade président.
"Rends l'ISF d'abord !"
Jupiter ré-invente l'écologie punitive, celle qui veut complexer les classes populaires et décomplexe les très riches de leurs abus quotidiens. La liste des raisons d'exprimer sa colère est longue, très longue. Cette séquence des "gueux contre le monarque" n'est peut-être pas terminée. Mais il y a plus grave: ce compromis social que l'on appelle la société existe-t-il encore ? On ne sait plus, on en doute.
Il y a cet acharnement convulsif d'une classe bourgeoise contre le reste du pays, cet acharnement qui prend des formes diverses: une politique de riches d'abord - quelques milliards d'euros pour ceux qui ont déjà tout. Un mépris permanent ensuite, incarné au sommet de l’État contre "ceux qui ne sont rien."
"La question n’est pas tant de savoir ce qu’il faut faire ce samedi-là que de découvrir ce que cela fait ressortir comme fantasmes et représentations sociales de part et d’autre, des failles à présent béantes qui ont atomisé notre tissu social et qui nous empêchent à présent totalement de faire société." Agnès Maillard.
Ami(e) macroniste, où es-tu ?